Abderrahmane Naceur

02/07/2014 03:34

 

 

 

Abderrahmane Naceur s’en est allé

...Abderrahmane Naceur nous livre, cette fois, d'autres cicatrices, d'autres traits de mémoire, voire d'autres syndromes. Le présent se glisse dans le drame d'un intense passé en une somme poétique qui s'encombre très peu d'artifices formels pour mieux dire une vie de lutte et d'espoirs, de semences et de moissons.

 

Rubrique Culture

https://www.liberte-algerie.com / Samedi, 04 Août 2012

LA CHRONIQUE DE ABDELHAKIM MEZIANI

 

Abderrahmane Naceur s’en est allé

 

Par : Abdelhakim Meziani

Il est parti dans l’indifférence institutionnelle qui assassine le barde des temps modernes. Il est parti sans avertir, lui qui a toujours vécu dans l’anonymat et la modestie, préférant aux feux de la rampe programmés le repli soudain sur soi pour se consacrer à la création plurielle. Il ne s’en était jamais plaint cet enfant terrible de La Casbah, ce troubadour des temps modernes, un psychologue avéré qui avait très tôt choisi son camp. Celui des humbles, des enfants rescapés de la barbarie coloniale. Ceux qu’on appelait alors en Tunisie “les enfants des frontières”. Des êtres humains qui, vivant dans les frontières de l’absurde et de la négation plurielle, attendaient plus que de la nourriture. Abderrahmane Naceur, puisque c’est de lui qu’il s’agit, l’avait compris très tôt. Le jour où il découvrit les victimes des bombardements par l’aviation française du village frontalier tunisien de Sakiet-Sidi-Youcef en même temps que les réfugiés algériens. Au dénuement matériel, me confia-t-il au moment où il me remit son manuscrit intitulé “Les Enfants des frontières”, s’ajoutait le désastre mental résultant de graves et profonds traumatismes psychologiques. C’est en découvrant ces réfugiés que sa détermination à sauver les enfants de son peuple devint décisive. Dans son livre intitulé “Les Enfants des frontières”, Abderrahmane Naceur nous renseigne humblement sur les raisons qui l’ont poussé à opter pour la création de maisons d’enfants : “Débarrasser nos enfants, ces premières victimes, de la vermine, de la faim, de l’ignorance… Créer une maison d’enfants, des maisons d’enfants, être éducateur. Modestement. À chacun son art, à chacun son courage, à chacun son intelligence pour participer au gigantesque élan national et international, imposer le respect de l’homme, le respect de ses droits inaliénables”.  C’est à ce moment précis que cet enfant de La Casbah commettra son premier “poème pédagogique” pour participer à la reconstruction d’une enfance appelée à retrouver le sourire et sa soif de liberté : “Sourire et liberté, un moyen, un but ; deux mots, un programme pédagogique. Toute une vie. Une forteresse qui protège l’âme que l’on tente de corrompre, de damner.  Un champ fertile qui nourrit l’homme.”  Éducateur de formation et psychologue‚ Abderrahmane Naceur était ce qu´on appelle un “touche-à-tout” : l´écriture‚ la peinture‚ la gravure‚ la sculpture‚ le cinéma‚ le théâtre pour enfants et la marionnette n’avaient pas de secret pour lui. Et il en fit généreusement bénéficier ses enfants des frontières. À l’indépendance, il fonda El Djil El Djadid et se consacra à l’éducation des enfants de chouhada. Jusqu’au jour où le siège de cette association ait été spolié par un dignitaire du régime. Il retrouvera alors les bancs de l’université où il décrochera un DEA en psychologie et mènera des recherches en biologie du comportement. Fortement marqué par le sort injuste réservé aux enfants de chouhada, par la trahison systémique, sa détermination ne sera vaincue que par l’inexorable horloge du destin. À l’image d’Ahmed, le personnage de son recueil de nouvelles “La Craie bleue”, qui est vaincu par le temps et sa complice, la maladie...


A. M