Algérie / "Une étape décisive de la Révolution"

12/12/2014 09:13

 

Témoingnage sur les manifestations du 11 décembre 1960

"Une étape décisive de la Révolution"

Les manifestations du 11 décembre 1960 représentent une grande étape de la Révolution algérienne, dont l’impact médiatique et les réactions diplomatiques ont conduit à l’ouverture des négociations officielles entre le GPRA et le gouvernement français, a affirmé, Mardi 11 Décembre 2007, monsieur Réda Malek l’un des négociateurs d’Evian.
Une partie de la délégation algérienne à Évian en mars 1962 : Taïeb Bouhlarouf, Saad Dahlab, Mohamed Ben Yahia, Belkacem Krim qui salue de la main, Mostefa Ben Aouda, Reda Malek, Lakhdar Ben Tobbal, M’hamed Yazid et Chouki Mostefai (©D.R)
 
M. Réda Malek, qui animait une conférence à la veille du 47e anniversaire des manifestations du 11 décembre 1960, à l’invitation de l’association Machaâl Ech Chahid, a estimé que ces manifestations et la répression qu’elles ont générée à travers le pays de par leur large couverture par les médias internationaux ont faussé tous les calculs au général de Gaulle. Il a rappelé que de Gaulle, qui voulait domestiquer la Révolution pour lui porter un ultime coup militaire, à travers les « fausses négociations » de Melun en juin 1960, l’appel à la « paix des braves » et la proposition de cessez-le-feu locaux, a mesuré son échec total après les manifestions qui ont commencé à Aïn Témouchent, le 9 décembre, pour s’étendre à toutes les villes d’Algérie les jours suivants. Le conférencier a également rappelé, selon l’APS qui a rapporté l’information, que les Européens d’Algérie (les pieds- noirs) qui avaient réclamé la venue au pouvoir de de Gaulle et des militaires ultras face à ce qu’ils considéraient comme un gouvernement faible de la 4e République, avaient tenté en l’invitant en Algérie, le 9 décembre 1960, d’instrumentaliser les Algériens à manifester à leurs côtés pour appeler à « l’Algérie algérienne ».
« Or, ils ont vite déchanté et avec eux de Gaulle, lorsque les manifestants réclamaient l’indépendance de l’Algérie », a souligné M. Malek, ajoutant que de Gaulle qui pensait être venu en Algérie pour trouver une solution définitive à la question algérienne avait rencontré un peuple décidé à arracher son indépendance nationale. « Depuis cet échec, qualifié par un officier de l’état-major français de nouveau Dien Bien Phu psychologique, de Gaulle n’est plus revenu en Algérie », a fait savoir le conférencier, soulignant que « malgré ses tentatives de convaincre les Etats-Unis et d’autres pays de s’aligner aux Nations unies sur ses thèses vis-à-vis de l’Algérie, il n’a pas obtenu de soutien ». « Depuis, de Gaule a commencé à comprendre que la seule solution à la question algérienne réside dans l’ouverture de négociations avec le FLN », a dit M. Réda Malek.
 
L’Algérie vaste champ de bataille était misse à feux et à sang par les forces armée de la puissance mondiale qu’était la France coloniale. Au point ou en étaient les choses, la vie des Algériens était devenue une sorte de jeux d’entre la survie et la mort. Quant à Alger la capitale, c’était un véritable labyrinthe, où il y avait des passages secrets pour éviter de rencontrer les contrôles, ou les militaires, policiers et gendarmes se relayaient à entretenir les barrages et les fouilles en plus de toute sortes de suspicion qu’il vouer aux indigènes autochtone, qui sans distinctions de sexe et d’âge, faisaient face à toutes sortes de problèmes ou ils finissaient souvent par se faire arrêter et emmener aux lieux de torture, ou de véritables spécialiste opérer jusqu’à vous enlever la vie si vous ne répondiez pas à la question. Mais que dire lorsque l’on ne savait rien, et que l’on-avait aucune révélation à faire. C’est tout cela en même temps, fonctionnant jours et nuit, sept jours sur sept, sans relâche, qui forma les citadins à la résistance par le louvoiement, qui est ainsi devenue une seconde nature. Un état d’âme qui vous imprégnait dès que l’on était en dehors de son territoire.
Et, ce n’est qu’en entrant dans son secteur, son quartier, en ces lieux communs où l’on retrouvait les personnes de confiance, familles, voisins et amies, avec lesquels on pouvait se lâcher, que le naturel revenait, pour dire franc et fort, le fond de sa pensée et ainsi donner libre cours à ses sentiments réels.
Alors c’est comme si la peur n’existait plus, qu’elle avait été vaincue et apprivoisée, qu’elle n’avait plus d’effets et qu’on vivait avec elle. Et, ainsi dans chaque coin de ce vaste Clos Salembier, ou j’habitais, des petits groupes, les vieux à l’écart, les jeunes plus en vue, tenaient leurs conciliabules et leurs débats en plein air ; l’ordre du jour étant partout et toujours le même : les «événements d’Algérie».
Là, s’échangeaient les informations que chacun, à sa façon, collectait ou déduisait à travers la rumeur, ou encore lisait entre les lignes d’articles de journaux, et surtout entendait la veille, à l’heure du couvre-feu qui obligent à s’enfermer chez soi.
L’heure à laquelle le roumi dort et à laquelle les «indigènes» veillent tendant l’oreille à l’écoute de radio Algérie libre (Sawt El-Arab). Et, à l’écoute du passage des patrouilles militaires qui pouvaient vous tomber dessus en pénétrant par les terrasses ou en défonçant les portes, qu’il ne servait à rien de renforcer et de barricader, car cela pouvait signifier «avoir quelque chose à cacher».
A l’intérieur des maisons indigènes, tels des chats vivants dans le noir, les habitants : hommes, femmes et enfants étaient tous branchés n’ayant d’oreille que pour l’émission radio «chaîne brouillée» de l’Algérie libre et indépendante qui émettait tard dans la nuit pour rapporter les faits d’armes des moudjahidines.
Et, dans le lourd silence de la nuit, seuls ceux qui savaient écouter avaient raison de croire en la liberté. Pour cette époque, la liberté traversait les ondes et pénétrait dans les foyers pour y apporter les directives des frères du Nidam. Le Nidam étant l’organisation du FLN / ALN.
Armant ainsi les patriotes de mots d’ordres qui allaient se transmettre dès le matin par l’autre chaîne de transmission « radio trottoir » qui allait, pour sa part, amplifier par le bouche à oreille, l’information alimentant les relais d’opinions éparpillés à travers la ville.
Ces relais, regroupés aux coins des rues, transmettaient à leur tour les échos de la guerre comme eux seuls savaient le faire. Moteur de sensibilisation en puissance, ils mobilisaient de nouvelles recrues pour l’action directe et chacun aiguisait son coutelas, fignolait un peu plus son plan d’action, projetant de rejoindre le maquis, après un coup d’éclat, après une action de liquidation d’un ennemi dont il avait évalué la nuisance.
On en était arrivé à un niveau d’engagement populaire encore jamais atteint, depuis le déclenchement de la lutte armée de libération nationale. En effet après le congrès de la Soummam, la situation dans les villes a évolué si vite que les autorités françaises avaient perdu le contrôle de la société autochtone dite « indigène ». La situation était arrivée à ce niveau de maturité révolutionnaire prédit par les précurseurs du 1er-Novembre que l’on pouvait constater leurs prévisions dans les faits quotidiens.
L’évolution patriotique des mentalités était au top de la triple vérité, historique, humaine et morale, qui confirmer la parole visionnaires de ceux qui avaient dit : «Mettez la révolution entre les mains du peuple il s’en saisira et la portera à bout de bras.» En effet, de plus en plus de jeunes patriotes la prenaient à bras-le-corps et ne pouvaient que la mener à la victoire.
Il était vrai que le combat de libération avait fait mûrir la société algérienne qui avait dépassé les maîtres à penser français. La révolution Algérienne était parvenue à procréer ses propres militants en cours de marche. Elle avait donc atteint son point de non-retour. Elle était devenue invulnérable et plus rien ne pouvait ni l’arrêter ni empêcher la victoire du peuple algérien même si la guerre devait durer vingt ans.
La victoire est inéluctable. C’est ainsi que des jeunes hors du commun sortaient du lot. Des érudits, toutes les sociétés en possèdent, mais en temps de guerre les érudits, les géniaux, ce sont ceux qui savent reconnaître la mort et qui allaient jouer avec elle sans la craindre au point que dans leur hardiesse, on allait croire qu’elle les aimait au point de ne pas les tuer.
C’est ainsi que de très jeunes garçons et filles, adultes avant l’âge, prirent les armes pour aller à leur tour combattre pour la libération de leur pays. Et, comme les papillons qui étaient seuls à croire qu’ils étaient aimés des fleurs, beaucoup de ces jeunes ne s’étaient pas trompés en croyant que la mort les aimait ! Oui, elle les aimait tellement qu’elle a pris beaucoup plus qu’il ne fallait pour une cause aussi juste.
L’Algérie étant devenue un vaste champ de bataille. Les morts, les blessés et les disparus ne pouvaient plus être comptés. Presque toutes les familles indigènes, comme elles étaient désignées, avaient quelqu’un, si ce n’étaient quelques-uns de leurs membres à être touchés et broyés par cette machine de guerre.
Il n’en fallait pas plus aux jeunes de ces nombreuses familles pour pencher vers la cause nationale et désirer venger les leurs en intégrant les rangs des combattants de la libération. D’autant plus que le djihad est un devoir religieux auquel étaient soumis les musulmans. Cette révolution était arrivée à engendrer sa propre dynamique dont l’énergique rotation était à son rythme de croisière, dont le déclenchement des manifestations de décembre 1960 ne pouvait la mener qu’à bon port.
Le désir de vengeance aidant, ces jeunes ne rêvaient que d’en découdre avec ces soldats français qui les prenaient pour des moins que rien. Même les gamins étaient dans la désobéissance civile et avaient leur code de conduite face aux soldats de l’armée française :
A) Si les soldats demandent ou il y a des Fatma, leur cracher au visage, et dire : «Il n’y a pas de Fatma ici.»
B) Si les soldats envoient acheter quelque chose : «Fuir avec l’argent.»
C) S’ils demandent des renseignements : «On ne sait rien.»
D) Si l’on peut crever les pneus des voitures militaires «le faire.» Ecrire sur les murs des slogans favorables à l’indépendance.
Cet abécédaire du petit combattant était connu de la plupart des gamins à qui il n’en fallait pas plus pour que les plus courageux osent chaparder des chargeurs et des grenades et parfois des armes laissées par inadvertance sur le siège d’une Jeep à portée de main de ces enfants de la guerre.
Le plus étonnant est que l’on n’a jamais su qui avait donné à ces gamins pareilles instructions ni comment ils ont fait pour savoir à qui ils devaient remettre les munitions et parfois les armes qu’ils avaient dérobées aux soldats négligents ou ce qu’ils devaient écrire sur les murs.
Il va de soi que parmi les adultes qui observent les jeunes de leurs quartiers, il se trouve toujours un homme du FLN chargé du recrutement, et qui remarquant parmi les gamins le plus dynamique et le plus dégourdi, l’approchait. Petit à petit, il fallait gagner sa confiance jusqu’à l’intégrer dans l’organisation pour en faire un guetteur, un messager, un agent du renseignement.
Après plusieurs mises à l’épreuve, il pouvait devenir un transporteur d’armes et un guetteur durant les actions armées. Le gamin devenait un homme et un militant à part entière, prêt aux tâches plus importantes. C’est là un véritable parcours du combattant qui faisant de ces gamins de futurs fidaï.
Les fidaies sont les membres des groupes de choc chargés des missions dangereuses et principalement des exécutions physiques. Une fois leurs nuisances décelées et qu’ils étaient identifiés par l’ennemi ces fidayin rejoignaient les combattants de l’ALN dans les maquis.
Les jeunes étaient politisés très tôt. Ayant autour d’eux et dans leurs propres familles la vision des méfaits de l’armée coloniale, il ne leur en fallait pas plus pour vouloir aller au combat. Pour eux, seul le temps était plus fort qu’eux car il leur imposait l’attente avant de grandir pour pouvoir passer à l’action armée et avec un petit peu de «malchance, qui, (pour eux) devenait de la chance à l’état pur» aboutir au maquis et avoir le suprême honneur d’intégrer l’ALN pour être un combattant du peuple et un moudjahid.
C’était le rêve, le souhait et l’espoir de tout un chacun. Tel était l’état mental et physique des gamins de cette époque de lutte de libération algérienne contre l’occupation française. Les plus intelligents devaient grandir et s’élever au niveau des événements pour faire partie des hommes extraordinaires, les seuls sélectionnés pour servir le peuple et le pays comme s’ils en étaient «les authentiques propriétaires privilégiés».
C’est ainsi qu’il en fut en ce glorieux Salembier qui, comme partout dans la capitale, le peuple dans son ensemble, baignait dans une forêt de drapeaux vert et blanc, pris le grand tournant de l’indépendance, et ce durant les manifestations des 10, 11 et 12 décembre 1960.
 

 

C’est durant ces manifestations, en effet, que le peuple a vu au grand jour les fidaï du FLN/ALN pour la première fois en armes et circulant dans les rues encadrant cette historique manifestation populaire, qui a donné un second souffle à la révolution algérienne.
Les plus intelligents devaient grandir et s’élever au niveau des événements pour faire partie des hommes extraordinaires, les seuls sélectionnés pour servir le peuple et le pays comme s’ils en étaient «les authentiques propriétaires privilégiés».
C’est ainsi qu’il en fut en ce glorieux Clos Salembier où, comme partout dans la capitale, le peuple dans son ensemble, baignait dans une forêt de drapeaux vert et blanc et prenait le grand tournant de l’indépendance, et ce durant les manifestations des 10, 11 et 12 décembre 1960.
Même les femmes qui, traditionnellement, se voilaient pour se cacher à la vue des hommes, sortirent manifester ouvertement leurs exigences de liberté, de souveraineté et d’indépendance pour leurs pays, l’Algérie. Elles sortirent à découvert, sans haïk et sans voile, pour crier au monde entier : «Non à la colonisation, non à l’Algérie française, vive l’Algérie libre et indépendante.» Ces hommes, femmes et enfants sortirent dans les rues pour affronter les forces étrangères dans une manifestation grandiose, digne de celle du 8 mai 1945.
Et puis, ce fut la rencontre historique du peuple algérien authentique avec lui-même. Ce sera alors le bras de fer entre le juste et l’injuste. C’est dans un élan que ce peuple étouffé décida de la confrontation du 11 décembre 1960 pour l’Algérie une et indivisible et dont les échos se répercutèrent jusque dans les ghettos de Manhattan aux Etats-Unis.
Cependant qu’en est-il «au plan officiel de la politique française ?» Depuis le discours de de Gaulle sur l’autodétermination, les dirigeants algériens ont noté «l‘accroissement de l’effort de guerre des militaires français» dont le but proclamé est de «gagner la guerre».
Le général de Gaulle a confirmé ce qui n’a cessé d’être dit depuis qu’il a prononcé du bout des lèvres et sans conviction le mot « autodétermination ». « Sa seule politique en Algérie est d’abord la poursuite de la guerre en vue de la destruction des structures de l’organisation et de l’extermination de l’armée de libération nationale du peuple algérien.
Le principal instrument de sa politique est le corps expéditionnaire français en Algérie qui a pour mission de perpétuer la domination coloniale à travers un statut unilatéralement décidé par la France. Quant aux ultras de la colonisation, ils ont décidé qu’il était temps pour eux d’agir résolument contre l’homme en qui ils avaient mis tous leurs espoirs et qui, proclament-ils, les a trahis pour incarner désormais la politique d’abandon.
A la veille de Melun, en juin 1960, ils ont mis sur pied le FAF (Front de l’Algérie française) un mouvement qui rassemble (prétendaient-ils), plus d’un million de membres dont 120 000 Français musulmans. Quoi qu’il en soit, leur force réelle est ailleurs.
Dans les multiples complicités et alliances qu’ils ont eues dans l’administration et la hiérarchie militaire. Une fois de plus, à l’annonce du voyage du président de Gaulle, ils croyaient leur moment venu. Les fils d’un nouveau complot se nouent donc à Alger alors qu’à Paris se déroule le «procès des barricades».
A Alger et à Bâb El-Oued, on s’esclaffera bientôt du bon tour joué par Pierre Lagaillarde à ses juges, qui, ayant été mis en liberté provisoire par des magistrats particulièrement compréhensifs, a préféré filer à Madrid plutôt que d’attendre la sentence d’un tribunal pourtant si bien disposé à son égard et à celui des autres inculpés.
Ortiz, en fuite depuis l’échec des barricades, est toujours installé en Espagne. De cet épisode, les activistes ont tiré quelques enseignements : la tentative a échoué parce qu’ils n’ont pas pu faire «basculer» l‘armée de leur côté, ce n’étaient pas des hommes aussi peu représentatifs que Lagaillarde ou Joseph Ortiz qui étaient capables de déclencher un tel mouvement.
Cette fois, la tête du complot est un militaire, et quel militaire ? C’est le général d’aviation Jouhaud, en retraite et fixé en Algérie où il est né et où il a des attaches profondes parmi les pieds noirs partisans de l’Algérie française.
Avec lui, estiment les chefs du FAF, plus d’hésitation. Les militaires prendront leur responsabilité et choisiront leur camp. Le scénario qu’ils ont bâti est simple : «Des manifestations de rue déclenchées dès l’arrivée de de Gaulle tournent à l’émeute.
Les parachutistes, comme en janvier, refusent de tirer sur des Français et l’insurrection s’étend. De Gaulle sera virtuellement prisonnier. L’armée se saisit de lui et prend en charge l’Algérie tandis que, dans le désordre qui s’ensuivra, les défenseurs de l’Algérie française, aidés par les généraux, prendront le pouvoir à Paris.
Déjà, on discute entre les chefs des mouvements «nationaux Algérie française» sur le point de savoir si de Gaulle devait être abattu, jugé en cour martiale et fusillé, ou bien gardé en prison pour être renvoyé plus tard en métropole et dégradé sous l’Arc-de-Triomphe par un sous-officier musulman.
Si l’on comprend bien : suprême humiliation. De Gaulle devait être déculotté par un «bicot». Reste alors à savoir avec qui négocier ? Les autorités françaises ont à mettre en place les « commissions d’élus créées par le décret du 18 juillet 1960 et qui doivent comprendre des députés et sénateurs, des présidents de conseils généraux, des maires et des personnalités diverses parmi lesquelles ils avaient espéré encore découvrir des interlocuteurs comme avait souhaité le général de Gaulle.
Bernard Tricot écrit : « Venant après l’échec de Melun, cette décision est parue à certains révélatrice de la volonté du pouvoir de construire l’Algérie algérienne sans et contre le FLN ». Dans son livre, Tricot nous révèle aussi qu’au début d’octobre 1960, étant à nouveau en Algérie, il constate « chez les musulmans, une hostilité fréquente envers les Européens d’Algérie et la volonté très générale de voir l’Algérie prendre elle-même son sort en main (...)».
Bernard Tricot recevant une à une les personnes qui répondent à l’invitation du préfet, la conscience de n’avoir qu’un seul intermédiaire entre le président dé la République, le général de Gaulle et lui, incitait l’invité à surmonter prudence et réserve et à dire ce qu’il avait sur le cœur, ce qui fit que les opinions qu’ils recevaient devaient avoir de la valeur.
«Je crains qu’il y ait une contradiction dans la position du général de Gaulle, me dit le magistrat cadi de tendance nationaliste, modéré dans son comportement et très respecté de la population, on ne peut à la fois vouloir un référendum d’autodétermination qui soit libre et maintenir la situation actuelle avec les regroupements, les intervenants et la présence de l’armée qui intervient dans toutes les affaires publiques.
Cette contradiction doit être levée et ne peut l’être que par la voie de négociations avec le GPRA portant sur les garanties de l’autodétermination.» «Mais nous sommes bien d’accord pour discuter de ces garanties», répond Bernard Tricot : « Excusez-moi, lui dit le caïd, mais il me semble que ce n’est pas assez clair, vous parlez seulement du cessez-le-feu, il faut aussi négocier au sujet de ce qui se passera après».
En effet, la France n’avait pas tiré les véritables leçons de l’histoire puisqu’en Indochine, ayant refusé une véritable négociation avec Ho Chi Min, elle trouva un «interlocuteur valable» en Bao Daï ; la suite est connue. Au Maroc, elle récidiva avec le Glaoui, cela se termina par le retour triomphal du sultan Mohamed V. En Algérie, elle cherche des Bao Daï et des Glaoui individuels ou collectifs.
Elle n’en trouvera pas ; c’est dans l’ALN et le GPRA que le peuple algérien se retrouve. Il faudra bien en prendre acte, hors de cette voie, pas d’issue, ou en est-on vraiment ? Les champions de l’Algérie française se retrouvent à Paris, les 3 et 4 novembre 1960 à l’Hôtel de Ville de Vincennes où les accueille pour leur deuxième colloque le député maire Quinson.
Après avoir entendu les rapporteurs, les participants adoptent la motion suivante «la perte de l’Algérie signifierait que l’Europe, investie par le Sud, est en danger de mort. Ce serait non pas la paix, mais la guerre subversive généralisée sur le continent européen».
Par contre et d’autre part, souffle et s’accélère le puissant courant de la paix : le 27 octobre 1960, des centaines de milliers de Français sont appelés à manifester dans une «grande journée nationale d’action» leur volonté commune d’en terminer avec cette guerre.
Ensemble, la CGT, la CFDT, la FEN et l’UNEF ont défini les mots d’ordres : «Pour la paix par la négociation en Algérie, pour les garanties mutuelles de l’application loyale de l’autodétermination, pour la sauvegarde de la démocratie et ses principes fondamentaux.» Mais aussi large que puisse être le consensus dégagé sur l’objectif de la paix en Algérie, il subsiste de multiples divergences sur les modalités de l’action à mener.
Une extrême lassitude et une profonde déception se sont installées depuis qu’ils avaient mieux mesuré la gravité du désaccord de Melun. A Paris, interdiction d’une manifestation des communistes, la raison avancée est que ces manifestations pourraient «entraîner des réactions passionnelles opposées» qui viendraient «troubler l’indispensable sérénité de la cohésion nationale».
Le gouvernement français a pourtant autorisé la manifestation « Algérie française » du 3 octobre 1960 qui s’est déroulée à la place de l‘Etoile à Paris. En dépit des heurts et des divisions, les manifestants ont imposé un fait désormais admis par tous les observateurs et jugé irréversible : la majorité des Français veut la paix en Algérie par l’ouverture de négociations.
C’est la grande leçon de la journée du 27 octobre 1960. Le 4 novembre 1960, discours radiotélévisé du général de Gaulle qui parle de la «République algérienne laquelle existera un jour, mais n’a encore jamais existé». Dans cette phrase, les ultras voient une confirmation de leurs craintes et comme un signe avant-coureur de l’abandon.
A l’Elysée aussi il y a des remous. Pour de Gaulle l’Algérie future est une Algérie émancipée où les Algériens eux-mêmes décideront et auront l’entière responsabilité de leur destin, une Algérie qui aura son gouvernement, ses institutions et ses lois, mais l’essentiel est de savoir avec qui sera bâti cette «Algérie émancipée».
La vaine recherche d’une troisième force Le président de Gaulle n’a pas modifié son attitude vis-à-vis du GPRA. Il exige toujours le préalable du cessez-le-feu avant la discussion. Ce que le GPRA continu de refuser alors qu’en France même, le courant pour la paix se développe, grandit et s’accélère.
Charles de Gaulle décide donc de contourner l’obstacle et déploie son plan consistant à réorganiser les pouvoirs publics en Algérie en attendant l’autodétermination. II espère certainement que cette réorganisation qu’il va soumettre à référendum favorisera l’émergence des autres tendances et que, du même coup, les conditions seront créées pour forcer la main au GPRA.
A cette nouvelle situation qui allait commencer le 22 novembre 1960, il fallait de nouveaux exécutants. A Paris, Louis Joxe est nommé ministre d’Etat chargé des Affaires algériennes. Pour Alger, il y a un haut fonctionnaire d’autorité, Jean Morin, qui appliquera la politique définie par Paris, et ce jusqu’en 1962.
Le président de la République française, de Gaulle, voulant faire avancer ses solutions a, cette fois-ci, décidé de s’entretenir avec les dirigeants des partis politiques français pour obtenir leur adhésion et conforter sa position avant son départ pour l’Algérie.
Ce voyage qu’il prépara avec un grand soin est fixé du 9 au 12 décembre 1960. Pourquoi tant de soins à s’assurer des appuis auprès d’hommes dont il négligeait ordinairement les critiques et les avis ? Il entamait une étape qu’il estimait capitale.
Et, sans attendre la fin des combats, il décida de mettre en place en Algérie des structures nouvelles sur lesquelles travaillaient déjà les commissions d’élus. Le Parlement et l’exécutif algérien, une fois installés, détermineront en temps utile la date et les modalités du référendum d’autodétermination.
Dans cette perspective, le général a demandé son approbation par une consultation et de lui laisser les mains libres pour prendre toute initiative nécessaire pour bâtir les nouvelles institutions.
Le soir du vendredi 9 décembre 1960, alors que le général de Gaulle était à Aïn Témouchent il a été publié par les journaux du même jour le texte référendaire : la question à laquelle les électeurs seront appelés à répondre par «oui» ou par «non» est qui et la suivant : «Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant l’autodétermination des populations algériennes et l’organisation des pouvoirs publics en Algérie avant l’autodétermination ?»
Ce texte soulève la polémique puisqu’il confond dans une interrogation unique entre deux questions différentes : – Approuve-t-on les réformes ? – Désirait-on maintenir le régime ? Par cette question, on demande en fait aux citoyens de se prononcer à la fois sur l’autodétermination et sur un projet de loi qui est, sur le principe, sa négation puisqu’il doit permettre de fixer par décret le statut qui préfigurera celui de l’Algérie future sans négociation préalable avec les représentants de cette Algérie future et sans préciser le cadre dans lequel devra s’exercer «le libre choix des populations».
Ce qui se fera sous le contrôle de l’autorité française, précisera Michel Debré. Le général de Gaulle a expliqué à ses interlocuteurs que la voie qu’il a choisie est la seule qui soit à la fois française et qui réponde aux réalités modernes du monde.
Ainsi, il s’est acheminé vers une République algérienne étroitement liée à la France. L’intégration réclamée par les partisans de l’Algérie française étant impossible et la sécession inacceptable, ce sera donc «l’indépendance de l’Algérie dans l’interdépendance avec la France».
L’idée n’est pas encore admise par le général de Gaulle que c’est avec le FLN qu’il faudra discuter et pas seulement du cessez-le-feu comme ce fut le cas aux pourparlers de Melun. Vendredi 9 décembre 1960, de Gaulle entreprit son voyage présidentiel en Algérie.
L’accueil est significatif. A Alger, tous les commerçants de la ville européenne ont gardé les rideaux de leur magasin baissés répondant ainsi, de gré ou de force, au mot d’ordre de grève générale décrétée par le Front de l’Algérie française pour manifester «leur hostilité à l’égard de la présence du général de Gaulle en Algérie et à sa politique d’abandon».
Ouvriers, employés des usines et bureaux, chauffeurs et wattmen des trolleys et autobus chôment aussi. Des gardes mobiles et des soldats stationnent aux carrefours tandis que de jeunes européens, membres des commandos de choc du FAF, arborent l’insigne «Jeune Nation».
Petit à petit se forment des attroupements et comme prévu par les organisateurs, dès que la foule atteint une certaine densité furent lancés les mots d’ordre : «De Gaulle au poteau», «L’Algérie française» et puis ce fut l’Action directe ; ils s’attaquèrent aux autobus et les placèrent en travers de la rue Michelet (actuelle Didouche-Mourad).
Les CRS qui se mirent en marche furent repoussés à coup de pierres et de bouteilles, les vitrines volèrent en éclats pendant presque deux heures ; manifestants et policiers s’affrontèrent enveloppés dans la fumée lacrymogène. Les ultras du FAF s’attaquèrent avec violence aux CRS et gendarmes ; dans le centre-ville d’Alger les manifestations se poursuivirent jusqu’à la nuit aux cris d’Algérie française scandés sur tous les tons et rythmés par les klaxons.
D’autres villes connaissent le même sort, Oran principalement, alors qu’ailleurs le mot d’ordre n’a été que peu suivi ; à Constantine, échec total.
Le FAF diffusa d’autres tracts appelant à la poursuite de la grève pour le lendemain samedi 10 décembre, menaçant les commerçants qui ne fermeront pas boutique.
En ce vendredi 9 décembre 1960 au matin, le général de Gaulle venait d’arriver à Aïn Témouchent en compagnie de Louis Joxe, de Jean Morin et du général Crépin. Il est encadré par le service de sécurité. Sur la place de la ville, le président de Gaulle est accueilli par un brouhaha dont les voix discordantes se répondent et s’insultent.
En première rangée bloquée par le service d’ordre, des Européens avançaient en criant : «A bas de Gaulle, Algérie française». Derrière, à l’arrière-plan, d’autres manifestants, des indigènes, ceux-là, agitaient des banderoles sur lesquelles était écrit ce que le général est venu entendre «Vive De Gaulle», «l’Algérie algérienne».
Le général, sans s’arrêter à hauteur de ceux qui l’insultaient, se fraya un chemin et se dirigea vers ceux qui l’acclamaient et serra les mains qui lui étaient tendues. Tout cela semble être dans la logique du général qui est venu montrer qu’il ne craint pas de s’appuyer sur les Algériens et que ceux-ci sont avec lui.
Tandis que le président de Gaulle, évitant Alger et Oran, continuait sa tournée par Cherchell, Blida, Tizi Ouzou, El-Asnam (Chlef), Bougie (Bejaïa), Téleghgma et Batna, les mêmes démonstrations se répétaient ; il tint le même langage : que les musulmans s’associent à sa tâche et que les rebelles comprennent qu’il leur offre «loyalement et sincèrement la paix», que les Européens sachent qu’ils ne seront pas abandonnés et qu’ils admettent que l’œuvre de la France vis-à-vis de l’Algérie ne peut se poursuivre dans les conditions d’hier.
L’imprévisible triomphe : le peuple tranche.
En cet après-midi du vendredi 9 décembre 1960, brusquement, à la surprise de tous et à l’étonnement du général et de son entourage, ministres et chefs de l’armée, gaullistes ou non, un événement imprévu qui va avoir des conséquences immenses éclate sans crier gare...
La foule sort en masse dans les rues d’Alger, d’Oran, de Constantine et d’autres villes faisant front contre les ultras de l’Algérie françaises et contre l’armée soutenant et exécutant le plan de Gaulle. Ni pour l’Algérie française ni pour l’Algérie algérienne de de Gaulle, le peuple s’était réveillé pour trancher et dire le mot de la fin : le peuple manifestait pour l’indépendance totale, pour l’ouverture de négociations avec le GPRA.
Ce GPRA, interlocuteur oublié que les états-majors militaires et politiques ne soupçonnaient plus qu’il puisse un jour se faire entendre avec une telle unanimité et une telle puissance. Les voix françaises les plus autorisées n’avaient-elles pas affirmé que l’armée avait gagné la bataille des villes ? Comme depuis longtemps déjà, toute la population française était acquise à la doctrine selon laquelle une fois libérée de l’emprise FLN, les populations reviendraient vers la France parce qu’elle aurait démontré qu’elle était la plus forte.
Les stratèges avaient démontré que la population urbaine «cassée et neutralisée ne bougerait plus». Du côté français, de Gaulle et les ultras divergent peu sur cette analyse, ils veulent profiter de ces succès pour faire avancer une solution politique afin d’empêcher que ne mûrissent de nouveaux ferments d’interactions ; pour les ultras, des conclusions inverses : puisqu’on est si près de la victoire, il ne faut rien changer fondamentalement.
Ces appréciations sur l’état d’esprit réel des masses algériennes urbaines vont se révéler complètement erronées. A la décharge des spécialistes des services psychologiques, il faut noter que le peuple algérien peut croire en cette fin d’année 1960 qu’il est en train de gagner sa «bataille».
Le climat, dans les quartiers algérois de Belcourt, La Casbah, et du Clos Salembier, d’Oran, de Constantine et d’ailleurs s’est profondément modifié par rapport aux années 1956/1957. Les coups terribles portés par les forces de répression, s’ils n’ont pas pu briser les convictions intimes, ont cependant éteint l’expression publique de cette confiance téméraire, à la fois imprudente et extraordinairement coûteuse qui était souvent la marque des nouveaux militants du FLN.
En dépit des « gestes» gaulliens, la répression continue avec moins d’éclat qu’avec Massu sans doute, mais, quant au fond, sans modifications fondamentales. Assez symbolique est la volonté du général d’affirmer sa détermination alors que, par ailleurs, il peut aussi prendre des mesures de libération à l’égard de certains prisonniers.
Il y a aussi sa décision de refuser la grâce de trois patriotes algériens condamnés à mort et exécutés la veille de son départ pour l’Algérie (Hamou Boucetta et Belhadj Abdelkader, guillotinés à la prison de la Santé, Belmokhtar Slimane à la prison d’Alger).
Cela c’est le côté bâton. Côté «carotte», on construit comme jamais auparavant des écoles et des logements ou de nombreuses familles s’installent. On bâtit aussi beaucoup de gendarmeries et de locaux de SAS puisque l’Algérie ne doit jamais être «sous administrée».
Parallèlement, il est fait un gros effort de «promotion musulmane» dans l’encadrement administratif et plus spécialement dans les services d’inspection de la santé et de l’enseignement. N’est-ce pas dans ces couches sociales nouvelles qu’on se promet de trouver l’indispensable «troisième force ?» Le désir de paix est immense.
L’ennemi spécule sur une certaine lassitude dans divers milieux. C’est cet immense désir de paix, cette certaine lassitude qui peut laisser croire que dans les masses urbaines, le ressort est brisé avec la rébellion. Entre elles et les moudjahidine, le lien est définitivement rompu.
Erreur grossière. Le sentiment le plus fort est qu’il faut tenir. Il faut dire aussi que c’est dans les milieux qui ont le plus souffert de la guerre qu’on entend généralement dire : «il faut tenir après tous les sacrifices et après cinq années de souffrance, ce n’est pas maintenant que nous céderons».
La prédétermination ou l’autodétermination Le 11 décembre 1960, s’il fut le mouvement ayant tranché sur toutes les questions, il n’en restera pas moins que c’est l’événement qui, de la guerre, est celui de la confrontation entre le front de l’Algérie française et le front de l’Algérie algérienne. Par ailleurs, les stratèges du front de l’Algérie française tendaient à vouloir mobiliser pour des manifestations contre le général de Gaulle et pour l’Algérie française. Et, c’est ce même plan qui devait faire aboutir à l’indépendance de l’Algérie dans l’interdépendance avec la France. Et, c’est à cet effet que les manipulations des services spéciaux, sous le slogan de l’Algérie algérienne, vision de Gaulle, activèrent sans répit.
Cependant, il ne suffit pas seulement d’évoquer à l’occasion les événements historiques de notre pays pour se suffire de leur éloquence. Il faut les traduire, les interpréter et les expliquer afin que la jeunesse sache. Car lorsque tous les stratèges du général de Gaulle, président de la République française, eurent établi leur plan de «paix en Algérie», il s’avérait n’être en réalité qu’un plan minutieusement élaboré, d’une prédétermination de l’autodétermination.
Pour ma part en écrivant ce récit, je le fais par conscience et non par consigne, car au service de mon pays je suis d’une servitude volontaire. LE PASSE EST UN PROLOGUE, épreuve précédant le départ réel de la renaissance de l’état Algérien dans ces véritables dimensions, et rien ne comble plus que l’amour de son pays.
 ET VIVE L‘Algérie Messieurs dames.
CHABANE Nordine*
*Auteur Ecrivain
Ancien moudjahid, membre ALN.
Publié dans : 11 Décembre 1960; Algérie
SOURCE : https://www.liberte-algerie.com/contributions/une-etape-decisive-de-la-revolution-4005