Bourguiba et le péché originel du Tunisien

28/03/2017 08:11

 

Bourguiba et le péché originel du Tunisien

 

Bourguiba n'est ni le Combattant Suprême ni le despote qu'on veut nous dépeindre. Il a été et restera l'incarnation la plus noble et la plus pure de l'amour qu'on n'eut jamais porté à la Tunisie.

Par Karim Ben Slimane*

 

La politique tunisienne de l'après révolution se joue aussi sur le terrain de la mémoire et de l'histoire. Les derniers événements en sont le signe qui ne trompe pas. D'un côté, le parti Nida Tounes, légataire autoproclamé du «bourguibisme», s'évertue à entretenir la mémoire du Combattant Suprême en commémorant le meeting de Ksar Hellal 1934. De l'autre côté, Ennahdha, épaulé par son parti vassal, le Congrès pour la république (CpR), s'échinent à enterrer la figure de Bourguiba et à relativiser son héritage.

Bourguiba, le "libérateur" de la femme, reçoit un groupe de jeunes tunisiennes, le 13 août 1957, fête nationale de la femme.

Bourguiba, l'ami de l'Occident, a droit à un accueil populaire à New York en 1961.

La tentation de la table-rase

Bourguiba est aussi le président qui a ouvert la voie à Mohamed Mzali, un arabisant notoire et patenté, pour réformer l'école et les programmes scolaires.

Je pense donc qu'il est à la fois superfétatoire mais aussi risqué de vouloir mettre Bourguiba dans une case quelconque. Notre travail sur la mémoire, dans lequel le statut et la place de Bourguiba occupent une place centrale, s'avère donc compliqué. Comment régler cette question?

En la matière les nouveaux maîtres de la Tunisie, les islamistes et leurs affidés, ne font pas dans la dentelle. La solution pour eux est de faire table-rase du passé et de déboulonner la statue de Bourguiba. Leur besogne est nauséabonde. Nida Tounes n'est pas en odeur de sainteté pour autant. Derrière l'exhumation de Bourguiba se cacherait, peut-être, un commerce ignoble de l'Histoire.

Pour ma part, je considère que Bourguiba constitue le péché originel par lequel la Tunisie que nous connaissons avec ses vertus mais aussi ses travers est née. Les tiraillements qui nous déchirent au quotidien entre modernité occidentale et tradition font notre «tunisiannité». Ils ne sont ni pathogènes ni anxiogènes : ils sont partie intégrante de nous. Ils nous donnent cette impression à la fois dérangeante mais aussi excitante de se dire que «ça se passe comme ça en Tunisie» ou que «c'est tunisien».

Je ne voudrais pas qu'on m'accuse de soustraire le travail sur la mémoire de la preuve des faits et de l'intransigeance des historiens pour le draper de romantisme et sentimentalisme. Mais Bourguiba a été profondément tunisien et c'est seulement cela qui compte à mes yeux. Il a bâti un pays et quand on entreprend un projet, on commet forcément, par amour, par détermination ou par passion, un péché originel qui se transmet au fil du temps aux générations d'après pour leur rappeler l'élan d'amour qui les a fait naître.

Alors Bourguiba n'est ni le Combattant Suprême ni le despote qu'on veut nous dépeindre. Il a été et restera l'incarnation la plus noble et la plus pure de l'amour qu'on n'eut jamais porté à la Tunisie.

*Spectateur rigolard de la vie politique tunisienne.