" Chronique des Annees de Braise " de Mohammed Lakhdar Hamina Algerie Palme D'Or 1975 et " L'opium et le bâton " d'Ahmed Rachedi

11/01/2015 19:36

Chronique des Annees de Braise 

Film de Mohammed Lakhdar Hamina Algerie Palme D'Or 1975

Chronique des Annees de Braise Mohammed Lakhdar Hamina Algerie Palme D'Or 1975

CHRONIQUE DES ANNÉES DE BRAISE, film de Mohamed Lakhdar Hamina
Né en 1934, le cinéaste algérien Mohamed Lakhdar Hamina forge ses premières armes cinématographiques dès 1958, en travaillant pour les actualités télévisées tunisiennes. Il reçoit, à trente-trois ans, le prix de la première œuvre à Cannes pour Le Vent des Aurès (1966), un long-métrage qui relate la quête d'une mère algérienne à la recherche de son fils arrêté pendant la guerre d'Algérie. Il réalise ensuite Hassan Tero (1967) et Décembre (1972) avant d'entreprendre la vaste fresque épique Chronique des années de braise (Ahdat sanowavach el djamr, 1975), palme d'or au festival de Cannes. Le film est l'un des premiers, après l'indépendance, à connaître une diffusion mondiale sur le sujet encore tabou de la guerre d'Algérie. Œuvre d'un cinéaste officiel, il reste paradoxalement en marge du cinéma algérien naissant, aujourd'hui victime du carcan bureaucratique et d'une absence de financements.
Chronique des années de braise (en arabe : وقائع سنين الجمر, Waqa'i' sanawat ed-djamr) est un film algérien réalisé par Mohammed Lakhdar-Hamina, sorti en 1975.
Synopsis
Le film est composé de 6 volets :
Les Années de Cendre
Les Années de Braise
Les Années de Feu
L'Année de la Charrette
L'Année de la Charge
Le 11 novembre 1954
L'histoire du film commence en 1939 et se termine le 11 novembre 1954 et, à travers des repères historiques, démontre que le 1er novembre 1954 (date de déclenchement de la révolution algérienne) n'est pas un accident de l'histoire, mais l'aboutissement d'un long processus, de souffrances, de combats d'abord politiques et puis militaires, qu'entreprit le peuple algérien contre le fait accompli qu'est la colonisation française débutant par un débarquement à Sidi-Ferruch le 14 juin 1830.

Autre titre : Waqâ sanwât al-jamr | Chronicle of the Years of Fire

Titre anglais : Chronicle of the Years of Embers

Pays Concerné : Algérie

Réalisateur : Mohamed Lakhdar-Hamina

Pays du réalisateur : Algérie

Avec : Mohamed Chouikh, Hassan El Hassani, Sid Ali Kouiret, Mohamed Lakhdar-Hamina, Cheikh Nourreddine, Leila Shenna, Jorge Voyagis, Larbi Zekkal

Production : ONCIC

Pays de production : Algérie

Distribution : Centre National des Arts et de la Culture (CNAC), Screen Production Inc.

Durée : 175'

Genre : drame

Type : fiction

Format de Distribution (35 mm)

Ahmed, paysan pauvre, quitte son village pour la ville à la recherche d'une vie plus facile. Il rencontre Milhoud, un fou visionnaire, et surtout la misère et l'injustice. Chronique événementielle de l'histoire algérienne, de la conquête française à 1954, date du déclenchement de la guerre de Libération nationale. A travers la vie d'une famille et de quelques individus "typés" et symboliques, le peuple algérien tout entier résiste à l'expropriation de ses terres et à la déculturation.

1975, Algérie, 2h55 min & 2h10min

Chronique des Années de Braise est composé de 6 volets :

-1. Les Années de Cendre.

-2. Les Années de Braise.

-3. Les Années de Feu.

-4. L'Année de la Charrette.

-5. L'Année de la Charge.

-6. Le 11 Novembre 1954.

Le Phœnix des peuples est plus long à renaître de ses cendres qu'à périr. Cette chronique est d'une certaine manière, celle de cette renaissance.

Ce film dont l'histoire en 1939 et se termine le 11 novembre 1954, n'a pas la prétention toute l'histoire de l'Algérie, mais à travers des repères historiques, il essaye d'expliquer que le 1er novembre 1954 (date de déclenchement de la Révolution Algérienne) n'est pas un accident de l'histoire, mais l'aboutissement d'un long trajet qu'entreprit le peuple algérien contre le fait accompli au lendemain du 5 juillet 1830.

Genre : Fresque historique

Réalisation

Mohammed LAKHDAR-HAMINA

Scénario

Mohammed LAKHDAR-HAMINA, Tewfik FARÈS, Rachid BOUDJEDRA.

Images

Marcello GATTI et Andreas WINDING

Musique

Philippe ARTHUYS

Interprétation

Jorge VOYAGIS (Ahmed), Mohammed LAKHDAR-HAMINA (Milhoud), Sid Ali KOUIRET (Saïd), Larbi SEKKAL (Larbi), Nadia TALBI, Leïla SHENNA (femme d'Ahmed), Hassan HASSANI (épicier), Cheik NOURREDINE (Akli, le forgeron), François MAISTRE (contremaître).

Procédé : Eastmancolor

Format : 35 mm Scope Panavision

Son : Stéréo

Version : Originale, française, originale sous-titrée français et originale sous-titrée anglais.

LE FILM CULTE DU CINÉMA ALGÉRIEN

"…C'est un grand film et en même temps un document remarquable par ses qualités esthétiques… Comment et pourquoi la révolution algérienne s'est déclenchée le 1er novembre 1954 : tel est le sujet de ce film aux images admirables où le souffle épique l'emporte de très loin sur le didactisme et l'esprit de propagande. Parfaite réussite artistique, cette œuvre montre que sur le plan cinématographique aussi, l'Algérie a atteint sa pleine maturité…"

Robert Chazal - France-Soir

1975 | Festival de Cannes 75

* Palme d'or

1976 | Oscars 76

* Sélection Oscars du meilleur film étranger

[ english ]

This lyrical, epic account of the events that led to the Algerian war of liberation from France was the first film from the Arab world to be awarded the Palme d'Or at the Cannes Film Festival. The film follows an Algerian peasant as he fights alongside the Allied forces in World War II, returns home and joins the resistance against French colonial rule, and dies valiantly in battle. His son continues the struggle, and the film ends on November 11, 1954, the official outbreak of the war for liberation.

1975. Algeria, 175min & 130 min.

Directed by Mohammed Lakhdar-Hamina.

With

Jorgo Voyagis (Ahmed), Mohammed Lakhdar-Hamina (Milhoud), Sid Ali Kouiret (Saïd).

Source:

www.moma.org/visit/calendar/film_screenings/13567

Courtesy of the filmmaker and Agence Algérienne pour le Rayonnement Culturel. 130 min.

 

 

 

L'Opium et le Bâton (1970) Film Algérien complet. الأفيون والعص

L'Opium et le Bâton (1970) الأفيون والعصا

Dans un village de montagne en Kabylie, pendant la guerre d'Algérie, la majorité de la population a rallié le mouvement indépendantiste du FLN. Les Français décident de le rayer de la carte.
En 1970, la presse algérienne relevait le grand succès commercial du film l'Opium et le Bâton réalisé par Ahmed Rachedi. Toutefois, ce mérite ne peut cacher les imperfections de cette œuvre cinématographique, encore moins les excuser, car le réalisateur disposait au départ d'un atout majeur : le roman éponyme du célèbre écrivain algérien Mouloud Mammeri. Aussi, cette adaptation étant une œuvre importante dans la filmographie algérienne, nous allons lui consacrer une analyse exhaustive ponctuée par des rappels historiques sur l'organisation du cinéma algérien durant cette période, accompagnée d'une biographie succincte du réalisateur.

Par Hacène-L’Hadj Abderrahmane *

L’OPIUM ET LE BÂTON : De l’écrit à l’écran ou l’art peut-il devenir un artifice ?

Ahmed Rachedi est né le 19 août 1936 à Tébessa dans une famille de petits fellahs. Il fit ses études primaires et secondaires dans cette ville. En 1956, à la suite de l’assassinat de son grand-père par la légion étrangère, sa famille émigra en Tunisie où son père, membre de l’ALN, succombera deux ans plus tard à ses blessures au maquis. C’est dans ce pays qu’en 1958 Ahmed Rachedi fera ses débuts au cinéma, initié aux techniques du 7e art par le metteur en scène français, René Vautier. René Vautier, pour fuir en 1956 une éventuelle arrestation par les autorités françaises qui lui reprochaient d’accompagner la projection de son film Une nation, l’Algérie d’un commentaire dénonçant la politique coloniale dans notre pays, décida de partir en Tunisie. «Ce n’était pas une adhésion au FLN, j’ai tout simplement décidé de mettre ma caméra au service d’une certaine vérité qui était cachée aux Français», nous confierat-il lors d’une interview qu’il nous a accordée à Alger le 06.02.1982. A Tunis, il marquera juste une pause avant d’entrer en Algérie filmer des opérations militaires. Les frontières n’étant pas alors infranchissables, René Vautier ne restait pas plus de trois semaines au maquis, afin que les images filmées soient développées et utilisées rapidement par les services de l’information du FLN. C’est aux côtés de ce cinéaste qui a choisi de se solidariser avec la révolution algérienne que Rachedi filmera ses premiers essais documentaires. Les bandes filmées à l’époque n’ont certes pas une valeur technico-artistique particulière, elles demeurent néanmoins des témoignages uniques et inestimables sur cette période, d’autant plus que la valeur d’une actualité filmée augmente d’année en année. En 1963, certains passages de ces bandes serviront à réaliser au centre audiovisuel de Ben-Aknoun, dirigé par René Vautier, un documentaire sur la première année de la vie de l’Algérie indépendante intitulé Peuple en marche. René Vautier aime préciser que «ce film est une œuvre collective réalisée par Ahmed Rachedi, Nasreddine Guenifi, Mohamed Guenez et Allel Yahiaoui». (Interview du 06.02.1982). Dans ce centre qui avait pour missions de réaliser des courts-métrages en 16 mm, de former des animateurs pour les ciné-pops, les initier à la manipulation et à l’entretien des appareils de projection, Ahmed Rachedi réalisera son premier documentaire en 35 mm Des mains comme des oiseaux d’une durée de 20 mn. D’autres jeunes enthousiastes tels que Bouguermouh, Guenifi, Bouafia, Bellil, Boumediène et Bennacer y réaliseront également une série de courts-métrages en 16 mm. Le court-métrage de A. Rachedi relate les opérations de déminage aux frontières algériennes par une équipe de spécialistes soviétiques dont un responsable paiera de sa vie cette opération qu’il supervisait. (Les informations relatives à la biographie et aux réalisations d’Ahmed Rachedi sont extraites des interviews qu’il nous a accordées à Alger les 15.03.1975 et 07.03.1987). Ayant saisi l’importance du rôle du cinéma pour la régénération du pays et son intérêt pour la consolidation de la sphère d’influence, l’Etat a décidé de créer en 1964 le Centre national du cinéma algérien (décret du 8 juin 1964). Le CNCA allait permettre de regrouper, sous une même tutelle, tous les moyens humains et matériels de production existant çà et là, car isolés les uns des autres, ils ne représentaient aucune force potentielle pour l’émergence d’un véritable cinéma national. Malheureusement, ce pas en avant, annonciateur d’une politique de développement d’envergure pour ce secteur (asseoir les fondements d’une industrie du cinéma, encourager la production de films, former dans les métiers du cinéma, etc.) s’est avéré insignifiant au vu des résultats obtenus. Toutefois, c’est grâce aux moyens du CNCA que Ahmed Rachedi réalisera en 1965 son premier long métrage documentaire L’aube des damnés consacré à la lutte de libération des peuples d’Afrique et du Tiers-Monde. La réalisation de ce film de montage a nécessité, selon Rachedi, le «visionnage» de 200 000 m de pellicules dans différentes cinémathèques européennes. Le mérite de ce documentaire réside dans le fait que le réalisateur, tout en faisant une incursion dans l’histoire, donne une perspective très large des aspirations des peuples en lutte pour leur indépendance et le progrès. Cependant, épris démesurément des riches et rares matériaux en sa possession, Rachedi, en voulant trop en utiliser, a parfois rompu le rythme du film et détruit les effets attendus. A notre avis, la grande faiblesse de ce documentaire, qui traite d’un thème qui a bouleversé la carte politique internationale, réside dans l’insuffisance, voire l’absence d’une analyse politique approfondie. Sans doute, par une sorte d’intuition, Rachedi at- il voulu, grâce au texte poétique et généreux de Mouloud Mammeri, racheter cette carence. Le commentaire qui accompagnait les images est un perpétuel hymne au combat des peuples africains qui s’acheminaient vers un destin nouveau, mais comme il n’était pas adapté aux particularités des matériaux utilisés dans ce film, il a pris un caractère essentiellement illustratif. Combien de séquences chargées de luttes et d’histoires ont été ainsi escamotées. Si Rachedi avait eu le courage de ne retenir que les séquences qui véhiculaient une charge politique effective, l’œuvre aurait eu une résonance plus tragique. Néanmoins, L’aube des damnés demeure un violent réquisitoire contre la réalité coloniale avec tout ce qu’elle charrie de barbare, d’inhumain et de tragique. Primé dans plusieurs festivals internationaux (prix du congrès mondial de la paix au festival international de Leipzig en 1965 — prix d’honneur au festival de Karlovy Vary en 1966…), ce documentaire est passé presque inaperçu en Algérie. «Il n’avait fait que 50 000 entrées», nous dira avec peine et regrets Ahmed Rachedi. L’indifférence affichée par notre public pour L’aube des damnés s’expliquerait, à notre avis, par le fait qu’à cette époque la quasi-totalité de nos salles de cinéma étaient programmées, avec des westerns et des thrillers. Aussi, le goût des spectateurs de L’aube des damnés ne pouvait rivaliser avec ce type de productions. En 1967, le Centre national du cinéma algérien est dissous par ordonnance n°67-49 du 17 mars 1967. Deux organismes lui succédèrent : le Centre algérien de la cinématographie (CAC), créé par ordonnance n°67-50 du 17 mars 1967, et l'Office national pour le commerce et l’industrie cinématographique (ONCIC), créé par ordonnance n°67-51 du 17 mars 1967. Le Centre algérien de la cinématographie, plus connu sous la dénomination de Cinémathèque algérienne, était chargé du contrôle de l’activité cinématographique, de la programmation des salles de cinéma, de la conservation et de la diffusion des films et documents d’intérêt cinématographique. Certaines de ses missions seront transférées plus tard au ministère chargé de la Culture. L’essor de la Cinémathèque algérienne est dû aux efforts conjugués de deux hommes exceptionnels. Il s’agit d’Henri Langlois, directeur de la Cinémathèque française qui accepta d’aider et surtout d’ouvrir ses trésors à la cinémathèque algérienne, et d’Ahmed Hocine, directeur du Centre algérien de la cinémathographie, dont l’érudition et l’immense culture cinématographique ont permis d’ériger cet espace en un carrefour international où les plus grands noms du cinéma mondial se succédaient pour y présenter leurs œuvres et en débattre avec le public. En 15 ans de gestion, Ahmed Hocine a insufflé à la cinémathèque algérienne un rythme d’activités absolument remarquable. La mythique salle de la rue Larbi Ben M’hidi était devenue non seulement le rendez-vous et le miroir du cinéma mondial, mais a servi aussi de tribune pour les causes justes où des cinéastes engagés venaient projeter leurs œuvres militantes. Enfin, c’est dans ce temple du cinéma que des valeurs naissantes du 7e art, algériennes et africaines, ont connu un début de gloire. Ahmed Hocine, en dehors de son rôle déterminant pour faire découvrir au public algérien le cinéma mondial, a contribué efficacement à l’essor du cinéma national. Il a accompli cette mission avec un désintéressement et un dévouement qui forcent le respect. Le deuxième organisme, l'ONCIC, était chargé de la distribution de films et de la production cinématographique. Ahmed Rachedi sera son directeur. Parmi les objectifs urgents que s’était fixés cet organisme figurait en premier lieu la suppression du diktat des grandes sociétés de distribution américaines et françaises, qui imposaient au marché algérien des films exclusivement commerciaux, et souvent pas les meilleurs. En prévision de cette bataille que seule l’Algérie a pu remporter en Afrique, les responsables de cet office ont stocké, de l’aveu de Rachedi, près de 2 000 films dans le plus grand secret. Et comme il fallait s’y attendre, dès la publication de l’ordonnance 69-34 du 22 mai 1969, attribuant l’exclusivité de l’importation et de la distribution de films à l’ONCIC, ces «majors», qui n’acceptaient pas que leurs intérêts financiers et idéologiques soient remis en cause, ont réagi violemment en décidant de boycotter le marché algérien du film. Mais cet «embargo» n’a pas eu l’effet escompté, car les dispositions prises par la direction de l’ONCIC en prévision d’une telle réaction et surtout l’intérêt que représentait le marché du film en Algérie dont le réseau d’exploitation était constitué à l’époque de 400 salles de cinéma ont poussé ces sociétés à assouplir leurs positions. C’est dans ce contexte de lutte et de réorganisation qu’est amorcé le tournage du film L’opium et le bâton. L’aube des damnésn’ayant pas reçu la consécration nationale qu’il mérite, Ahmed Rachedi opte résolument pour la réalisation d’un film à spectacle. «Notre public aime les westerns, les films que nous avons faits en Algérie sont méprisés ou presque. Ce sont des œuvres dont les auteurs sont couverts de lauriers à l’étranger.» (A. Rachedi in Algérie-Actualité, 26.04.1969). Un tel point de vue ne pouvait que nuire fatalement à la conception «idéelle» et artistique de l’œuvre cinématographique. Rachedi, par conséquent, au lieu de rechercher une forme d’expression originale pour relater la lutte du peuple algérien face à l’une des plus grandes puissances militaires au monde, privilégiera la voie du spectacle et de l’action, au détriment d’une réflexion sur cette guerre horrible et cruelle. L’adaptation à l’écran de l’œuvre de Mouloud Mammeri n’était certainement pas une chose aisée, encore moins au plus spatial. A ce propos, la rencontre de Bachir Lazrar avec ITTO au Maroc semble une digression inutile dans la mesure ou cet épisode ne s’inscrit pas dans une continuité dramaturgique qui vient renforcer le thème principal du roman, à savoir la guerre de Libération nationale. Qu’en pensait Mouloud Mammeri ? «Je commence d’abord par vous donner raison. Il y a deux raisons à cette digression qui est une pure technique romanesque, une espèce de parenthèse. La première raison est personnelle. Ayant moi-même vécu au Maroc, cette histoire faisait un peu partie de mon expérience. La deuxième raison, plus agréable et plus essentielle, ce sont des interrogations sur le sens de la guerre. Il y a un sens que l’on donne à l’existence, des valeurs pour lesquelles on est prêt à se sacrifier. Alors, dans cette histoire dure et cruelle, il fallait montrer un moment donné qu’on ne tue pas pour tuer, mais parce qu’on a de la vie une certaine conception, une certaine vision. J’ai traduit cette vision en termes un peu légendaires, presque mythiques. C’est l’épisode au Maroc, qui est comme un petit ilôt, une petite panse où j’ai montré la guerre mais aussi le sens de cette guerre. » (De l’interview que nous a accordé Mouloud Mammeri le 4 mars 1987 à Alger). Mais pourquoi avoir choisi ITTO et non pas une algérienne ? «Personnellement, je pense peut-être à tort que le Maghreb est le même sur le plan humain. Par ailleurs, si j’avais choisi une algérienne, cette histoire aurait été plus difficile à dépeindre car plus difficile à vivre». (De l’interview avec M. Mammeri du 4 mars 1987 à Alger). Ahmed Rachedi a restreint utilement le champ d’action dans le film en concentrant les événements dans le village de Thala, le bureau de la SAS et au maquis. C’est un choix judicieux. Mais au plan de la reconstitution des faits et des motivations psychologiques des héros, certains aspects positifs dans le roman prennent une tournure ambiguë dans le film. Prenons, à titre d’exemple, le personnage du héros principal Bachir Lazrak. Dans le roman, ce fils de paysan, après des études de médecine à Paris, s’installe confortement à Alger dans un appartement cossu et vit en bonne entente avec la couche européenne. Ses allures de petit-bourgeois contrastent avec la dure réalité dans laquelle vivent ses compatriotes. Ebloui par sa réussite professionnelle, les événements qui secouent son pays l'intéressent peu. Mais sous l’effet d’un certain nombre de situations, il finit par comprendre que sa place dans ce conflit est du côté des siens. Ce cheminement psychologique vers cette prise de conscience se fait graduellement mais d’une manière probante. Nous apprenons même de différentes sources que le FLN a un point de vue positif sur lui et le considère comme un homme de devoir. C’est pour cette raison que le colonel Amirouche fait appel à ses compétences pour réorganiser le service de santé de la Wilaya III. Dans son village où il marquera un arrêt en attendant la liaison qui l’acheminera au maquis, Bachir découvre les horreurs de la guerre. Thala est entourée de barbelés. Des postes de garde contrôlent les entrées et sorties des villageois. Les vivres sont rationnés par l’armée. La faim sévit si fort que les enfants en pleurent jusque dans leur sommeil. La population est constamment soumise aux brimades et aux humiliations des soldats. Sous l’effet de ces pratiques inhumaines et terrifiantes, nous avons l’impression que le village s’est engourdi. Mais la réalité est tout autre : chaque maison bouillonne de vie. Les gens de Thala ne fléchissent pas, ils résistent. C’est durant ces journées passées auprès des siens que le docteur Lazrak prend conscience de la réalité effroyable dans laquelle vivent les gens de Thala et du devoir à accomplir. Dans le film, cette analyse est éludée au profit de l’action et du spectacle. Bachir Lazrak n’apparaît à l’écran que pour nous introduire au cœur des événements qui se déroulent dans son village. Pourtant la place que lui réserve Ahmed Rachedi dans le pré-générique laissait croire qu’il était, tout comme dans le roman, le personnage central autour duquel allaient graviter tous les événements du film. Ce ne fut pas le cas. Aussi, il nous est permis d’affirmer que le réalisateur a commis une erreur grossière dans la manière de traiter ce personnage à l’écran. Par ailleurs, ayant transposé littéralement à l’écran certains événements et dialogues du roman sans les adapter pour la version cinématographique, Rachedi a dénaturé certains faits. Par exemple, ce qui pousse Bachir dans le film à rejoindre le maquis c’est la peur. Il fuit d’abord Alger lorsque Arezki est arrêté, puis Thala quand son frère Belaïd l’informe que Ramdane venait de subir le même sort dans la capitale. Il quitte précipitamment son village avant même d’avoir pris conscience de l’ampleur des horreurs commises par l’armée coloniale. Une fois au maquis, il se fond dans la masse des combattants. Quant aux événements qui viendront après, ils n’auront aucun lien direct avec ce héros. Il est vrai que le temps de projection ne permettrait pas de reprendre en détail les particularités des personnages ni de relater toutes les lignes narratives du roman. Cependant, ce temps de projection n’était pas étriqué au point d’empêcher Rachedi de présenter ses héros d’une manière attrayante et d’insérer dans le personnage de Bachir un ou deux éléments qui auraient maintenu à l’écran les qualités avérées du héros de l’œuvre de Mouloud Mammeri. Cette reproduction inexacte et superficielle du docteur Lazrak a non seulement dépersonnalisé ce personnage mais a engendré un phénomène inattendu pour la couche sociale qu’il est censé représenter à savoir l’intelligentsia. En effet, les images que nous renvoie l’écran laissent supposer que les intellectuels algériens ont rejoint la révolution soit par peur soit par force. Quel est l’avis de Mouloud Mammeri à ce sujet : «Je ne parlerai que du roman. Moi je voulais écrire un roman, des faits qui soient le plus fidèles à la réalité «vraie» et non pas à la réalité «vraie» et non pas la réalité reconstruite idéologiquement après l’indépendance. En tant qu’écrivain, j’ai refusé de faire la démonstration d’une thèse politique. Je sais très bien qu’après 33 ans, on a fabriqué toute une saga de la guerre de Libération. Plus on s’éloigne des événements, plus ils deviennent distanciés. Tous les peuples sont passés par là. Le passé est trituré car il devient un argument pour façonner le présent que l’on veut. Est-ce qu’on écrit pour l’efficacité politique ? Moi, je me suis refusé de faire une œuvre démonstrative. Au contraire, je me suis astreint à montrer les événements tels qu’ils se sont passés. Le docteur Lazrak n’est pas le représentant d’une classe ni dans le film ni dans le roman. On peut très bien présenter un individu qui ne soit pas schématiquement réduit à sa couche sociale. Balzac a bâti ses romans sur ça. En parlant du roman, je trouve que Bachir fait preuve d’honnêteté intellectuelle à laquelle je rends hommage car cet homme aurait pu faire comme tant de gens qui ont rejoint le combat par peur ou par convenance. Entre 1954 et 1956, ce genre de type était très fréquent et pas seulement dans l’intelligentsia. C’est après 1956 que le peuple algérien a adhéré massivement à la Révolution. Bachir est resté honnête car il a commencé par se dire : «Moi, je suis bien». Ce n’est que lorsqu’il a été confronté aux événements qu’il a décidé de rejoindre le bon combat». (De l’interview que nous a accordée M. Mammeri le 4 mars 1987). A la même question, Rachedi, répond par contre d’une manière laconique : «Il y avait d’autres intellectuels au maquis.» (Interview avec A. Rachedi, du 17 mars 1987). Au maquis oui, mais dans le film non. Bachir était l’unique. S’il y en avait d’autres, ils sont restés derrière l’écran. A notre avis, cette image superficielle de Bachir Lazrak dans le film est dues en partie à l’acteur choisi pour interpréter ce rôle. Mustapha Kateb, puisque c’est de lui qu’il s’agit, ne convenait ni intérieurement ni extérieurement, pour ce personnage. Entre deux âges, de corpulence forte, il donnait l’impression d’être un homme accompli, loin des vicissitudes de la vie. Son visage respire l’opulence. Quant à l’ardeur juvénile, ce n’était qu’un lointain souvenir. Dans le roman de Bachir Lazrak est jeune. Il est en pleine possession de ses forces. Il n’a que trente ans. Il désire vivre et aimer. Son jeune âge et son retour récent en Algérie peuvent expliquer son détachement momentané vis-à-vis des événements qui secouent son pays. Cependant, dans l’œuvre de Mouloud Mammeri, Bachir n’est pas dénué de qualités. C’est pourquoi d’ailleurs Arezki venu demander son aide lui lance cette phrase significative : «Le professeur a dit le docteur Lazrak ne reculera pas devant son devoir de médecin... et d’Algérien.» Cette phrase est capitale pour saisir le sens de la conversation qui se déroulera plus tard à Thala entre le capitaine de la SAS et le docteur Lazrak, lorsque par précaution ce dernier dira à son interlocuteur : «Je ne crois pas en la médecine, mais les autres y croient, il faut bien leur en donner pour leur argent.» Reprise textuellement dans le film, sans la faire précéder des propos d’Arezki, cette phrase est perçue au sens strict des mots. Quoi d’étonnant alors que ce médecin aux allures de petit bourgeois, empâté et lourd, sans mouvement d’âme, parlant d’une voix monocorde, puisse en fait penser ainsi. Rien ne le trouble, même pas son retour dans la maison natale qu’il n’a pas revue depuis dix ans. Aussi, si les propos et le comportement typiques du héros de trente ans dans le roman peuvent sembler justifiés, par contre chez un homme qui a largement dépassé la quarantaine dans le film, ils deviennent douteux. Mustapha Kateb a mal interprété la scène des retrouvailles avec sa mère et sa sœur Farroudja. Dans la maison où il est né, la faim sévissait effroyablement. Cette situation Bachir l’ignorait totalement. Il propose de l’argent à sa mère qui rétorque qu’à Thala, il n’était d’aucun secours : «L’armée a tout rationné.» Face à ces révélations dures et amères, Bachir est resté impassible. Cette séquence d’une charge psychologique intense devait, à notre avis, servir d’exposition au film, nous édifier sur les atrocités de la guerre endurées par tout un village et provoquer le dégrisement chez ce héros. Mais comme la discussion entre la mère et Bachir a pris un caractère purement formel, nous avons l’impression que l’atmosphère éprouvante dans laquelle vit cette famille est provoquée par la faim et non par les horreurs de la guerre. Aussi, ce qui dans le roman est ressenti et vécu comme une tragédie, dans le film, il prend la forme d’un mélodrame ordinaire. Peut-on imputer cet échec à Mustapha Kateb quand nous savons que dans toute création cinématographique le réalisateur est le «maître d’œuvre». Il dirige tout le staff artistique et technique. A notre avis, Rachedi pris d’engouement pour l’exotisme et le pittoresque a préféré dans la dure réalité de la scène des retrouvailles, mettre en avant les couleurs chatoyantes des robes et des foulards des héroïnes, leurs parures d’argent, les objets à usage domestique, enfin toute une bizarrure inopportune dans un moment aussi dramatique. Ce choix a relégué en arrière-plan les souffrances endurées par cette famille et les menaces qui pèsent sur elle. La beauté envoûtante des sites de Kabylie empêchera plus d’une fois le metteur en scène de recréer l’atmosphère de danger permanent qui guette la population. C’est pourquoi l’épisode où les soldats dynamitaient les oliviers par représailles aux habitants de Thala qui refusaient de trahir les leurs, prenait plus l’allure d’un spectacle que d’un acte tragique, d’autant que nous savons que cette population puise essentiellement ses ressources de cet arbre ancestral. Quant aux combats qui opposent les moudjahidine aux soldats français, agrémentés de séquences de corps-à- corps spectaculaires, filmés sur le fond de cette belle nature, donnaient l’impression d’être une reproduction fidèle des films hollywoodiens de ce genre. A notre avis, ni le metteur en scène ni le chef opérateur ne se sont souciés de faire endosser une charge dramaturgique au milieu ambiant dans lequel évoluaient les personnages. Aussi, nous avons l’impression que Rachedi et le chef opérateur filmaient la nature pour ce qu’elle représentait de beau, sans l’intégrer comme élément dramaturgique. Dans le roman, par contre, la nature n’a pas une fonction illustrative. Mouloud Mammeri s’en sert comme un contrepoint qui accentue l’hymne à la vie et rend plus significatif le combat des moudjahidine. Les paysages et les événements forment un tout harmonieux et cohérent. Comme nous l’avons déjà signalé, le docteur Lazrak qui apparaît au début du film disparaît comme par enchantement dans la deuxième partie. En fuyant Thala vers le poste de commandement de la Wilaya III, on le voit porter en bandoulière une mitraillette. Cette image inattendue fait perdre à cette séquence sa crédibilité et sa vraisemblance. En effet, nul n’ignore que les maquis souffraient d’un manque cruel d’armes. Des moudjahidine de la première heure continuaient à braver l’ennemi avec de simples fusils de chasse. Comment donc, cette nouvelle recrue, destinée de surcroît au service de santé de la Wilaya III, at- elle pu bénéficier généreusement d’une arme automatique avant même d’avoir endossé la tenue de combat ? Avec l’éclipse de Bachir, le film prend le caractère d’une chronique sur la guerre. Les actions sont alors transposées tantôt au village, tantôt dans les bureaux de la SAS ou au maquis, sans que ces parties ne soient reliées entre elles par des procédés cinématographiques adéquats. Aussi devant cette conception éclectique du film, nous avons l’impression que les actes de bravoure des moudjahidine affrontant un ennemi supérieur en nombre et doté d’un arsenal de guerre d’une des plus grandes puissances militaires au monde prenaient la tournure de simples combats entre deux bandes rivales. Les idées forces du roman s’éclipsent dans le film pour céder la place à des descriptions de scènes de batailles. Nous assistons alors à un défilé de tableaux sur la guerre qui se juxtaposent sans s’imbriquer. Evidemment, une telle démarche ne pouvait que rompre l’homogénéité conceptuelle de l’œuvre cinématographique et rendre imperceptible la relation existante entre la population et les moudjahidine. Pourquoi Rachedi a-t-il traité sommairement le personnage de Bachir à l’écran : «Celui-ci n’est pas le personnage central dans le film. Le héros c’est le village.» Ce refus d’utiliser un héros central dans l’Opium et le Bâton n’était pas un fait nouveau dans le cinéma algérien. En effet, nos réalisateurs pour mettre en évidence le caractère authentiquement national de la Révolution, préféraient mettre l’accent sur le peuple plutôt que sur des héros individuels. Pourtant, dans le roman s’ouvre à nous toute une galerie de personnages intéressants, représentant des forces antagoniques. Il y a ceux qui ont épousé la Révolution et ceux qui l’ont combattue. Mouloud Mammeri les a dépeints minutieusement. Les personnages des trois frères Lazrak n’échappent pas à cette rigueur. Le jeune Ali (interprété par Sid Ali Kouiret) a rejoint d’emblée la Révolution. Le docteur Lazrak, après quelques hésitations, a choisi lui aussi le bon combat. Quant à Belaïd (interprété par Abdelkader Safiri), frère aîné des Lazrak et ancien émigré que les déboires de la vie ont poussé à la boisson, il passait ses journées dans la buvette de la SAS. Haï, méprisé et rejeté par les habitants de Thala qui le considéraient comme un traître, Belaïd, en réalité, est resté fidèle à son peuple et à la Révolution. Ces trois personnages dont les motivations psychologiques sont différentes, n’ont pas, hélas, bénéficié dans le film de traitements aussi éloquents que dans le roman. Ils sont restés à l’état d’esquisses. Les seuls moments où les particularités psychologiques sont bien mises en valeur, c’est lorsqu’on retrouve ensemble Ali et le soldat français, Georges, interprété par Jean-Louis Trintignant. Fait prisonnier après un dur combat, Ali attend avec résignation le lever du jour qui le conduira au supplice et fatalement à son exécution. Soudain, devant lui et le soldat chargé de sa surveillance, se déroule une scène horrible : des militaires balancent d’une hélicoptère son frère d’armes Omar, arrêté en même temps que lui. Au moment où Omar, transformé en loque humaine par ses tortionnaires, montait dans l’hélicoptère, Georges disait à Ali : «Tu vois, vous nous tuez et nous, on vous paie des voyages à l’œil. Dix jours d’hôpital et il sera rétabli.» Ce soldat, vraisemblablement depuis peu en Algérie, obnubilé par la propagande coloniale, ne pouvait s’imaginer que l’armée française qui représentait à ses yeux un idéal de justice et d’humanisme, pouvait commettre un tel acte barbare. Cette scène l’ébranla profondément. Après un moment d’hésitation, il propose à son prisonnier de s’enfuir. Pensant à un piège, Ali refuse. Mais l’insistance du soldat chassa le doute et Ali décampa à toutes jambes. Au bout de quelques instants, Georges réalisant la gravité de son acte, ramasse son paquetage et se lance à la poursuite d’Ali. Dès qu’il l’aperçoit, il lui crie désespérément de l’attendre : «Arrête ! Emmènes-moi chez tes copains, j’en ai marre de tout ça...». Au début un climat de méfiance s’installe entre les deux hommes, obligeant chacun à rester sur ses gardes. Puis, Georges voulant prouver sa bonne foi, décide de remettre à Ali tous les chargeurs en sa possession y compris celui engagé dans sa mitraillette. Ce geste rassura Ali qui esquissa un sourire. Mais le moment pathétique dans cet épisode c’est lorsque le soldat, dans un élan de solidarité, jeta la dernière boîte de corned-beef que son compagnon a refusée de partager avec lui, croyant que c’était du porc : «Maintenant on a plus qu’à crever de faim», s’écria Georges. Emu, Ali révéla à Georges que le poste de commandement de la Wilaya III était tout près. Cet épisode a été conçu et réalisé avec une grande sensibilité d’artiste. Rachedi a su nous transmettre la profondeur humaine de deux hommes que la guerre a mis face à face. Malgré le juste combat de l’un et la participation à une guerre d’oppression par l’autre, les deux protagonistes ont su en ces moments complexes et difficiles transcender leur position pour privilégier la beauté des actes humains. Ce passage, à notre avis, résonne aussi bien dans le roman que dans le film, comme un hommage aux jeunes du contingent qui avant d’embarquer en France à destination de l’Algérie ont manifesté leur désapprobation pour cette guerre. Il se veut aussi un hommage aux Français qui ont dénoncé courageusement la torture qui s’y pratiquait, sachant pertinemment que leur action allait provoquer le courroux des gouvernants de l’époque. Parmi ceux qui ont fait les frais d’une telle bravoure se trouvait le général Jacques Paris de Bollardière. En effet, ce grand officier de l’armée française rentra à Paris le 28 mars 1957 pour demander à être relevé de son commandement en Algérie car il désavouait les méthodes de son chef hiérarchique, le général Massu, nommé depuis le 7 janvier 1957 au commandement du Grand Alger. Le général de Bollardière refusait de cautionner la pratique de la torture et le massacre odieux de prisonniers algériens. La réaction fut immédiate : le 15 avril 1957, il a été mis aux arrêts de forteresse. Il est certain que la réussite de cette séquence est due en partie à Jean-Louis Trintignant qui a su recréer à l’écran un personnage d’une profondeur psychologique remarquable. Il a su séduire et gagner la sympathie du public en reproduisant d’une manière convaincante les qualités humaines et exceptionnelles de son héros. Malgré la place restreinte qu’il occupe dans le film, il demeure dans l’œuvre de Rachedi le personnage le plus intéressant et le plus marquant. Lorsque avec Ali il arrive au poste de commandement de la Wilaya III, il est tout simplement subjuguant. Dans cet épisode, les moudjahidine accueillent avec joie leur frère de combat. Quant au soldat, adossé à une paroi, décontenancé par ces retrouvailles chaleureuses auxquelles il n’était pas associé, son visage laissait trahir un sentiment de gêne, de honte et de peur d’être taxé de lâche. Soudain, cette crainte s’estompa : un moudjahid lui tend la main, Ali l’invite à partager le repas des combattants, quant au docteur Lazrak, il l’informa que la guerre est finie pour lui. Il partira avec le premier convoi aux frontières. De l’état d’homme inquiet à celui d’un être apaisé, il n’a suffi que de quelques plans rapides pour nous transmettre ce bouleversement psychologique qui s’est opéré en lui. Jean-Louis Trintignant a fait une prestation remarquable dans ce film. Rien d’étonnant, dirions-nous, de la part d’un professionnel de son envergure. Mais ce qui est fascinant, c’est qu’il a pu atteindre un degré de créativité assez rare chez un comédien : «Vivre la vie spirituelle d’un personnage», pour reprendre Stanislavski. Quelques jours plus tôt, dans ce même poste de commandement, Si Abbas fit irruption pour instruire le docteur Lazrak de sa mission difficile au vu des moyens limités dont dispose le service de santé de la Wilaya III. Mustapha Bellil, acteur non professionnel, a su en l’espace d’une apparition furtive, nous transmettre l’allure imposante de ce héros et mettre en évidence ses rapports simples et cordiaux avec les djounoud. Cependant, dans le roman, ce héros s’appelle Amirouche. Pourquoi donc Rachedi a préféré lui substituer le nom de Abbas ? : «Le film n’est pas localisé dans l’espace. C’est un microcosme qu’on peut situer dans n’importe quelle wilaya. Le découpage du territoire national en wilayate a été imposé par l’histoire, il n’y a pas lieu de l’accepter comme un découpage ethnique. C’est un personnage choisi sur le modèle de Amirouche, mais c’est plutôt un hommage aux martyrs anonymes. Pour cela, je n’ai pas voulu faire une identification au premier degré». (De l’interview que nous a accordée Rachedi le 17/03/1987). Nous sommes tout à fait d’accord quand Rachedi affirme que le découpage du territoire national en wilayate ne peut être accepté comme un découpage à caractère ethnique. Seulement, en déclarant ce qui précède, ce dernier semble oublier que l’une de règles essentielles en adaptant un roman pour l’écran consiste à reproduire avec un maximum de fidélité les particularités de l’œuvre littéraire. Certes, un réalisateur est libre d’apporter les modifications qu’il juge utiles aux situations présentées dans un roman, mais dans le but exclusif d’améliorer le contenu dramaturgique du scénario. Rachedi s’est-il seulement inspiré du roman ou l’a-t-il transposé à l’écran ? En déclarant que «le film n’est pas localisé dans l’espace, c’est un microcosme qu’on peut situer dans n’importe quelle wilaya», celui-ci semble ignorer que l’art ne peut s'accommoder d’aucune forme de standardisation. Chaque individu, chaque objet possède des traits particuliers qui lui sont propres. Et par définition nous savons aussi que le général n’existe qu’à travers le particulier. Quant aux données historiques, elles ne doivent faire l’objet d’aucune altération, quand bien même il s’agirait d’un film de fiction où une part de subjectivité est tolérée comme dans toute création artistique. Mais cette part de liberté que s’octroie l’artiste ne doit nullement répondre à des caprices personnels. Elle doit être soumise aux lois de la création artistique et refléter nécessairement une réalité objective qui, dans le cas du film, se veut la réalité historique.
La question demeure donc toujours posée : pourquoi le réalisateur a substitué le nom de Abbas à celui de Amirouche ? Car, et quels que soient les arguments peu convaincants avancés par Rachedi, les péripéties de son film se déroulent bel et bien en Kabylie, ne serait-ce que pour les raisons ci-après :
1- Le village dans le film s’appelle Thala, tout comme dans le roman. Son architecture est typique des villages de Kabylie.
2- Les noms des héros et des héroïnes sont aussi maintenus tels quels dans le film et leur consonance nous rappelle fort bien ceux en usage dans cette région.
3- Enfin, les costumes des personnages, notamment ceux des héroïnes, évoquent avec force les vêtements portés par les gens de Kabylie. Le seul point dans le film en décalage flagrant avec la réalité des sites, les us et coutumes de la région, la vérité historique, est celui de la langue. Cependant, n'ignorant pas le monolithisme linguistique qui régnait alors, nous ne pouvons que comprendre, sans le justifier, le choix de l’arabe. En effet, des décennies durant, certains responsables frappés d’une myopie politique aiguë, ne pouvaient concevoir l’unité nationale en dehors d’une certaine uniformisation de notre mode de pensée et de notre univers socioculturel.
N’est-ce pas pour ces raisons que Abderrahmane Bouguermouh a attendu 15 longues années, jalonnées de lutte et d’espoir, pour obtenir l’autorisation de réaliser enfin La colline oubliée dans la langue maternelle de Mouloud Mammeri ? A notre avis, la seule réponse plausible à notre question sur le changement de nom aurait été de dire que ce symbole de notre révolution, le colonel Amirouche, mérite qu’on lui consacre tout un film à sa gloire. Une apparition furtive à l’écran ne pouvait restituer toute la grandeur et la personnalité exceptionnelle de ce révolutionnaire qui a marqué avec force l’histoire de notre guerre de Libération nationale. Mouloud Mammeri, que pensait-il de ce changement de nom ? : «Je n’ai pas écrit un roman sur Amirouche mais sur la résistance du peuple algérien. C’est pourquoi j’ai accepté, bien qu’à contre cœur, que le nom de Amirouche soit changé, mais changer le nom d’Akli par celui de Bouguelb, je n’étais pas d’accord». (De l’interview qu’il nous a accordé le 04/03/1987). Sid-Ali Kouiret a fait une prestation louable dans cet épisode. Il a subi d’évidence l’influence de Jean-Louis Trintignant qui l’a drainé dans le sillage de son professionnalisme. Ce qui nous rappelle un des principes du «système» de Stanislavski qui énonce dans sa théorie sur «La formation de l'acteur» que «le comédien dépend de son partenaire». Mais dans l’épisode final où Ali est au centre d’événements lourds de conséquences, son jeu versait par moment dans le «mélodramatisme». En effet, de nouveau prisonnier, Ali savait cette fois-ci que son sort est scellé et qu’il n’échappera plus à son destin. Cette situation suffisait pleinement pour nous transmettre toute la tension des imminences graves. Mais Kouiret emporté par le contexte accentuait son jeu, pensant qu’ainsi il transmettrait «mieux» l’état d’âme d’un homme qu’on allait exécuter. Mais si en mathématiques plus devant plus donne plus, en art dramatique, lorsque le sens de la mesure n’est plus maîtrisé, l’effet devient contraire. Il est évident que Sid-Ali Kouiret jouait intuitivement, sans s’appuyer sur les procédés psychologiques qui font naître chez le comédien «l’état créateur». Mais lorsque l’intuition est débridée, le jeu s’emballe et devient artificiel ou, pour reprendre l’expression d’Anton Tchekhov lorsqu’il n’était pas satisfait de l’interprétation de ses pièces par le Théâtre artistique de Moscou : «Les comédiens jouaient trop.» Si le choix de Jean- Louis Trintignant pour jouer le rôle du soldat français est fondé, par contre l’invitation lancée à Marie-Josée Nat pour interpréter le rôle d’une femme kabyle (bien que la ressemblance physique existe) peut paraître non fondée. Ce rôle presque sans dialogue et sans charge psychologique importante était à la portée de n’importe quelle actrice algérienne. Rachedi, quant à lui, justifie son choix : «Le choix d’un comédien est toujours subjectif. Mais dans le cas de ce film, l’intérêt commercial m’obligeait à faire appel à des têtes d’affiche». (De l’interview qu’il nous a accordé le 17/03/1987). Dans le film, Rachedi a fusionné deux destinées celle de Farroudja et celle de Tassadit, épouse de Omar et agent de liaison dans le secteur de Thala. Dans le roman, après l’assassinat de son mari par les soldats français, Tassadit est restée seule avec son enfant, sans aucune protection. Tayeb (un traître interprété par Rouiched), la soupçonnant de travailler pour le FLN, lui fait subir d’horribles tortures pour lui arracher des informations sur l’emplacement des caches des moudjahidine. Tassadit résiste stoïquement aux sévices de Tayeb. Mais ce serviteur zélé de la SAS, pour la faire parler, décide de séquestrer son enfant. Alors, folle de douleur, Tassadit perd la raison et commet l’irréparable. Dans le film, Farroudja n’est pas une militante active de la révolution. Ce qu’elle endure comme souffrances n’est pas comparable à ce que subit Tassadit dans le roman. Ses aveux ne lui sont pas arrachés par la torture, ni dans un moment d’égarement. Elle les a fait à Tayeb chez lui, dans sa maison, en échange de son fils, uniquement. L’altération des mobiles psychologiques a dénaturé le personnage de Farroudja. Par conséquent, si la douleur et la folie de Tassadit peuvent susciter la compassion du public, par contre l’acte commis délibérément par Farroudja pour récupérer son fils ne peut prétendre à aucune indulgence de sa part. Celui-ci considère que cette femme de surcroît saine d’esprit a trahi les siens, car d’autres mères, au même moment, assistaient stoïquement à l’immolation de leurs enfants sans broncher ni fléchir. Pourtant, il aurait suffi de montrer chez Farroudja l’évolution psychologique vers cet acte regrettable, pour que celle-ci soit lavée de ce travers. Dans ce film, Marie-Josée Nat n’a pas eu un rôle à la hauteur de son talent. Son personnage est d’une telle platitude que, malgré ses capacités de comédienne, elle n’a pu lui conférer une quelconque originalité. Elle était ainsi presque réduite à une simple présence physique devant la caméra. Certes, elle jouait juste les circonstances proposées, mais ce résultat qui ne nous étonne pas est dû à une parfaite maîtrise par l’actrice des techniques de «l’art de la représentation» où les effets extéreurs remplacent la vraisemblance des sentiments. Aussi, lors des différentes projections du film, nous avions l’impression que le public était plus fasciné par la star que par le personnage qu’elle incarnait. Pourquoi le trait de folie, élément important dans le personnage de Tassadit, disparaît dans celui de Farroudja ? Rachedi s’explique : «Il est vrai que dans le film le trait de folie n’est pas perceptible chez Farroudja, cette séquence ayant été mal réglée. Mais il y a peut-être une volonté délibérée de faire admettre l’idée d’une trahison. Les hommes sont avant tout des êtres humains.» (De l’interview que nous a accordé Rachedi le 17 mars 1987). Il est vrai que les hommes sont avant tout des êtres humains. Ils sont courageux ou lâches, patriotes ou traîtres. Mais ce que nous reprochons à Rachedi, c’est de n’avoir pas choisi résolument un camp pour Farroudja. Cette demi-mesure a trahi l’esprit du personnage de Tassadit et n’a pas sauvé l’âme de Farroudja. Rachedi en fusionnant les personnages des deux héroïnes du roman, sans tenir compte des particularités psychologiques de l’une et de l’autre a obtenu un condensé qui fait de Farroudja l’antithèse de Tassadit. A notre avis, le personnage de Farroudja étant le seul rôle féminin important dans le film, le réalisateur aurait dû nous montrer à travers cette héroïne l’image vraie et dominante de la femme algérienne durant la guerre de Libération nationale. En faire le symbole de la femme algérienne engagée dans le combat libérateur. Un autre personnage qui, malheureusement, n’a pas bénéficié à l’écran d’une transposition adéquate est celui de Tayeb, interprété par Rouiched. Ce personnage de traître est campé d’une manière caricaturale. Il véhicule cette signification de «tous» plutôt que de «lui». Il prétend être typique sans pour autant être particulier. Pourtant, Mouloud Mammeri le présente fort bien. Il en donne une caractéristique si précise et si détaillée que sa reconstitution à l’écran aurait dû se faire sans difficulté. Jugez-en vous mêmes. Aigri par sa condition sociale qui le place en état d'infériorité par rapport aux gens de son village, humilié et méprisé par les siens, devenu la risée de tous, Tayeb n’hésite pas pour se venger à rejoindre les forces du mal. Son ressentiment, il l’exprimera avec violence, cruauté et sadisme. Son épouse indignée par son comportement et sa position «d’ennemi des musulmans» bougonne sa colère et le qualifie de gueux. Le capitaine de la SAS, malgré la servilité inconditionnelle de cet énergumène, le traite avec mépris. D’ailleurs, au moment de commencer le pilonnage de Thala, Tayeb lui demande si sa maison allait être épargnée : «Bien quoi ? Tu es de Thala toi aussi, non ?» répond sèchement et avec dédain l’officier. Tous ces éléments constitutifs de la personnalité de Tayeb du roman n’ont pas trouvé place dans le personnage au destin tragique du film. Vidé de sa substance, il est devenu schématique, astreignant Rouiched à un jeu basé sur des clichés. Comme conséquences, certaines situations comiques dans le film prenaient parfois une tournure de bouffonneries et le sérieux perdait de son effet dramatique. Les seuls moments où Rouiched a bien mis en évidence son talent d’acteur, c’est lorsque les villageois entonnèrent «Allahou akbar» après l’assassinat d’Ali par les soldats. Cette évocation répétée de Dieu résonnait chez Tayeb comme une sentence prémonitoire. A partir de ce moment, une métamorphose s’est opérée dans le jeu de l’acteur. Il paraissait meurtri dans son âme, hanté par le remords et le pardon qu’il ne pouvait espérer de personne. Le visage hagard, il était devenu soudain fragile et vulnérable. Il prit enfin conscience qu’il était absolument seul, rejeté par tout le monde, y compris par ceux auprès de qui il espérait trouver refuge. Eux aussi l’ont abandonné. C’est le sort que l’on réserve aux traîtres dont on a plus besoin et qui risquent de devenir encombrants plus tard. Tayeb a compris que son existence n’avait plus de sens. Autour de lui, c’est le vide. Même les saints de son village l’ont maudit et lancé l’anathème contre lui. Il mourra comme un renégat, enseveli sous les décombres des maisons de Thala, sans sépulture ni Fatiha. Dans ce passage, Rouiched a été sublime. La répartition adéquate des forces dramaturgiques dans cette séquence et la forte tension dramatique dont sont imprégnés les événements ont permis à Rouiched de mener la tragédie à son paroxysme. Dans son ensemble, la version cinématographique de l’Opium et le Bâtonn’est pas une adaptation tout à fait réussie. Ce film pèche essentiellement par une démarche dramaturgique simpliste, une direction d’acteurs peu maîtrisée et un montage qui laisse à désirer. A propos de cette dernière remarque, il fait rappeler que le montage du film a été confié au Français Eric Pluet. Ahmed Rachedi, s’étant fié exagérément au professionnalisme de ce technicien, n’a pas jugé apparemment utile de suivre de près cette phase décisive dans l'élaboration d’un film. En effet, en choisissant, en disposant des fragments de pellicules filmés séparément, nous cherchons la forme la plus adéquate pour exprimer les idées d’une œuvre cinématographique. Le montage est «le fondement esthétique d’un film», disait Vsevolod Poudovkine. Par conséquent, la manière dont sont disposées les dernières séquences dans l’Opium et le Bâtonconfère à l’œuvre de Rachedi une fin teintée de pessimisme. En effet, dans la dernière partie du film, nous assistons à des événements tragiques : Ali est froidement abattu par les soldats devant les siens. Son frère Belaïd après un acte héroïque subit le même sort. Quant à Bouguelb (interprété par Abdel Halim Raïs), il meurt en héros, entraînant sous son étreinte le capitaine de la SAS à l’intérieur de la poudrière qu’il fait exploser. La déflagration arrache du mât le drapeau français qui s’élève dans le ciel. Ce cadre tel qu’il est présenté à l’écran n’est pas dénué d’une symbolique, car juste après, la caméra nous fait découvrir le village de Thala totalement anéanti par l’armée coloniale. S’agissant des derniers plans d’une histoire tragique, cet épisode pris dans le contexte des actions précédentes peut insinuer à travers la destinée apocalyptique de Thala l’écrasement de la Révolution. Dans La Bataille d’Alger, nous nous retrouvons devant une situation similaire après l’arrestation de Yacef Saâdi, chef de la zone autonome, et l’assassinat d’Ali la Pointe et de ses compagnons. Cependant, afin d’éviter toute équivoque sur l’issue de la guerre, Gillo Pontecorvo inséra judicieusement des séquences sur les manifestations du 11 décembre 1960 durant lesquelles le peuple algérien est sorti massivement dans les rues pur clamer son droit à l’indépendance. Ces événements, magistralement reconstitués par le réalisateur, sont suivis d’un commentaire qui renseigne, sans ambages, sur le dénouement de la guerre. Il est dit ceci : «Deux années de lutte devaient encore passer et le 2 juillet 1962, avec l’indépendance naquit la nation algérienne.» l’Opium et le Bâton a été qualifié en son temps par la presse nationale de «western algérien ». En effet, les péripéties du film, la répartition des forces dramaturgiques, les portraits des héros, tout nous rappelle la stylistique des films américains de ce genre. Néanmoins, cette affirmation peut sembler exagérée, mais elle s’expliquerait par le fait que le réalisateur, au lieu de développer une réflexion sur le combat du peuple algérien pour son indépendance, a préféré faire palpiter le cœur du public en utilisant des effets cinématographiques captivants : éclats d’armes blanches, murmures des eaux de rivières, combats filmés sur le fond d’une nature envoûtante, enfin tous les ingrédients propres au genre. Et Mouloud Mammeri qu’en pensait-il ? «Après avoir visionné le film, j’ai eu cette remarque amicale pour Rachedi : tu as fait un western.» (De l’interview que nous accordé M. Mammeri le 04/03/1987). Il est certain qu’en adaptant pour l’écran le roman de Mouloud Mammeri, Rachedi s’était fixé comme objectif de réaliser un film à la gloire du peuple algérien. Mais cette noble intention n’a pas trouvé sa pleine expression dans le film pour 3 raisons essentielles : 1- Un film ne se fait pas avec des sentiments mais avec la force des plans. Plus la réalité d’un événement est relatée d’une manière concrète, les traits individuels sont exacts, plus l’image devient forte et convaincante. 2- Rachedi n’a pas su reproduire dans le film ce qu’il y avait de précieux et de profond dans l’œuvre littéraire. 3- Il n’est pas parvenu à faire plier les matériaux en sa possession aux exigences de ses nobles intentions, gêné manifestement par la frontière qu’il n’a pu établir entre l’art et l’artifice. Il est évident qu’il est difficile d’exprimer une œuvre d’art en utilisant les moyens d’un autre art. Cependant, lorsque les lois établies en matière d’adaptation sont respectées et que le réalisateur maîtrise parfaitement les moyens d’expression cinématographiques, le résultat ne peut être que probant. A titre d’exemples, nous rappellerons certaines versions du cinéma mondial qui sont des chefs d’œuvre. Il s’agit, entre autres, de Guerre et paix de Serge Bondartchouk, d’après Tostoï. Le Rouge et le noir de Claude Autant- Lara, d’après Stendhal. Le Guepardde Luchino Visconti, d’après Tomas. A la fin de l’interview, Rachedi nous a fait cette confidence : «Il y avait plusieurs points faibles dans le film. Le plus important concerne le choix des acteurs. Aujourd’hui, avec le recul, j’aurais certainement fait un autre film, car j’aurais fait une autre lecture du roman.» (De l’interview que nous a accordé A. Rachedi le 17/03/1987). Toutefois, il est nécessaire de préciser que l’Opium et le Bâtonétait le premier long métrage de fiction de Rachedi. Son manque d’expérience à l’époque l’a empêché d’utiliser des détails cinématographiques significatifs et de bien concevoir les épisodes de son film. Néanmoins, il faut reconnaître deux mérites à cette œuvre cinématographique : primo, la littérature algérienne était devenue une source d’intérêt pour nos metteurs en scène. Certains n’hésiteront pas à les associer à l’écriture de leurs scénarios. Le premier à avoir tenté cette expérience c’est Abderrahmane Bouguermouh qui, en 1965, avait associé Malek Haddad à l’écriture du scénario de son film Comme une âme. Dommage que Rachedi n’ait pas sollicité la collaboration de Mouloud Mammeri. Ce maître de la plume, maîtrisant parfaitement les techniques romanesques, aurait été d’un apport indéniable pour un meilleur agencement des matériaux du scénario. Secundo, l’Opium et le Bâton, contrairement à beaucoup de films algériens, a eu un retentissant succès commercial. Il a fait, selon Rachedi, 1 600 000 entrées. Il est certain que l’œuvre de Mouloud Mammeri et la pléiade d’artistes de renom distribués dans le film ont contribué à cette réussite. Il est incontestable que malgré les imperfections relevées tout au long de cette analyse, l’Opium et le Bâton d’Ahmed Rachedi demeure une œuvre cinématographique majeure et marquante dans la filmographie algérienne.

H.-L. A.

* Diplômé de l’Institut du cinéma de Moscou (V.G.I.K). Ex-directeur de la Cinémathèque algérienne.