Cinéma : "Paris la blanche"

28/03/2017 11:48

Cinéma : "Paris la blanche"

Un film de Lidia Leber Terki avec Tassadit Mandi, Zahir Bouzera et Karole Rocher, au cinéma le 29 mars.

Sans nouvelles de son mari, Rekia, soixante-dix ans, quitte pour la première fois l'Algérie. Pour ramener Nour dans leur village, elle est prête à tout. Mais l'homme qu'elle finit par retrouver est devenu un étranger.

 

 

 

Extrait d'un entretien avec Lidia Leber Terki, réalisatrice et co-scénariste

Comment est né "Paris la blanche" ?

Lors d’un dîner, Colo Tavernier a sorti quelques pages d’un tiroir en me disant : "Lis, ça peut t’intéresser". Colo avait écrit cette histoire dans les années 90, inspirée par les foyers Sonacotra qui abritaient tous ces hommes qui ne peuvent plus rentrer dans leur pays. L’histoire de cette femme qui erre dans Paris à la recherche de son mari, ancien travailleur immigré à la retraite, m’a super émue.

Je venais de perdre mon père et, même si ces pages ne racontaient pas son histoire, cela m’a renvoyée à ses origines, et donc aux miennes. Algérien, né en Kabylie, sous la colonisation, mon père a épousé ma mère française à la fin des années 50. Elle a vécu en Algérie durant dix ans par amour. Je suis née là-bas. Nous sommes venus en France quand j’avais trois ans. Je suis sûrement le parfait produit de ce qu’on appelle une intégration réussie, celle de mon père, jusqu’à en oublier mes propres origines. Dans ce que me proposait Colo, il y avait aussi une histoire d’amour comme je les aime, pudique et simple. L’amour est assez rare dans les films qui traitent de l’immigration algérienne en France. Ces personnes qui quittent leur pays, leur famille, leurs parents, leurs enfants pour aller travailler ailleurs ; je ne pense pas qu’elles le font de gaieté de cœur… Je voulais le dire et aussi raconter une histoire d’amour, en hommage à celle qu’ont partagé mes parents.

Comment avez-vous trouvé votre acteur ?

 Zahir Bouzerar est le premier acteur que j’ai choisi. Je tenais à ce qu’il soit Kabyle. Je l’avais vu dans "Barakat ! ", il y a une dizaine d’années, et je lui trouvais quelque chose de rude, de terrien mais également de poétique. C’est un acteur de théâtre et aussi un dramaturge. On s’est rencontrés à Alger, et dès que je l’ai vu arriver, j’ai su que c’était lui. Il est petit et frêle, il a l’air d’être dans la lune. Son visage est marqué et c’est très beau. Et puis, il y a sa voix grave et douce, sa façon de rouler les "r" , de parler un peu à l’ancienne. Je voulais qu’il parle à la fois kabyle et français.

Tassadit Mandi est arrivée en dernier sur le film ?

L’actrice algérienne que j’avais choisie a eu un problème de santé à dix jours du tournage. C’est Jan Vasak, mon producteur, qui m’a parlé de Tassadit Mandi. Il savait qu’elle parlait kabyle. Elle a lu très vite le scénario et on s’est rencontrées. Je la trouvais trop jeune pour le rôle. J’ai compris qu’elle avait été très émue par le script et devinant mon doute elle m’a dit : "Je peux te jouer la femme de soixante-dix ans, quatre-vingt, ou même cent-dix ans, comme tu veux ! ". Et là, j’ai vu son regard, et sa capacité à changer d’expression en très peu de temps, passer d’un regard pétillant à quelque chose de très statique et profond. Tassadit s’est tout de suite énormément investie dans le rôle, et avec Zahir, cela a fonctionné immédiatement. Pour moi, cette femme est venue dire au revoir à son mari. Elle doit savoir, au fond d’elle, que ce retour est un leurre.

Comment est né le personnage qu’incarne Karole Rocher ?

Pour moi, Tara (Karole Rocher) devait représenter le regard du spectateur. Dans la vie, on croise des gens et puis on les perd de vue. Tara et sa soeur Damia (Marie Denarnaud) traversent momentanément la trajectoire de Rekia. Je voulais montrer quelqu’un qui ose aider les autres, simplement, humainement. On voit des gens par terre dans la rue, qu’est-ce qui nous empêche de leur tendre la main ? J’avais envie de le faire dans le film. Karole était évidente pour interpréter Tara, elle a une incroyable présence et une grande sensibilité. Son personnage nous fait rencontrer des Syriens, des Soudanais, cette immigration continue, des gens qui sont encore dans l’espoir, qui voient peut-être dans cette femme algérienne qui cherche son mari, la mère qu’ils ont laissée ou la femme qui pourrait venir les chercher un jour.