Djamila BOUPACHA dans la guerre de libération nationale : L’icône féminine

08/06/2015 15:59
Djamila Boupacha

Djamila BOUPACHA dans la guerre de libération nationale : L’icône féminine

Une jeune fille de 15 ans, d’un caractère décidé, s’est engagée dans la politique en adhérant à l’Union des Femmes de l’UDMA (Union Démocratique pour le Manifeste Algérien), un parti créé par Ferhat Abbas en mai 1946. Elle rejoint le maquis en 1955, à l’âge de 17 ans, à l’aide de son frère et d’un responsable du FLN de la Basse-Casbah. Djamila s’est mise à la disposition de la Révolution en faisant preuve d’une audace extraordinaire. Elle était et disponible pour toutes les actions et ne refusait aucune mission. Son jeune âge et son innocence la faisaient passer partout. Djamila est parvenue, par sa volonté et son courage, à devenir aide-soignante à l’hôpital de Béni-Messous, sur les hauteurs d’Alger, ou elle se procurait des médicaments au profit des maquis de la wilaya 4 dans l’Algérois. Accusée d’avoir posé une bombe, désamorcée, à la brasserie des Facultés, près de la Grande-Poste à Alger, le 27 septembre 1959, Djamila, âgée de 22 ans, est arrêtée le 10 février 1960 par l’armée française en compagnie de son père, 71 ans, de son frère, de sa sœur et de son beau-frère. Pendant un mois, elle est emprisonnée en toute illégalité dans un lieu secret ou elle est battue, torturée et violée. Sa situation de femme détenue et torturée va donner lieu à une affaire judiciaire et médiatique à l’initiative de l’avocate Giselle et de l’écrivaine Simone de Beauvoir.
Dès la prise en charge de son affaire par l’avocate Gisèle, en mai 1960, cette dernière cherche à médiatiser son cas en faisant le procès des méthodes de guerre en Algérie. De Paris, Gisèle tente de mobiliser les intellectuels et les hommes politiques français. Après avoir écrit, en vain, à Charles de Gaulle et à André Malraux, elle pense à Simone de Beauvoir. L’auteure du « Deuxième Sexe », très engagée avec Jean-Paul Sartre dans la lutte anticoloniale, semble être la personne idéale pour médiatiser cette histoire. Les deux femmes se rencontrent le 24 mai 1960. Gisèle lui raconte avec des mots simples et percutants le calvaire de Djamila Boupacha, jeune Algérienne, membre du FLN, mise au secret pendant plus d’un mois, torturée, violée alors qu’elle était vierge et musulmane pratiquante. Simone de Beauvoir répond simplement : «Que voulez-vous que je fasse ?» Gisèle : «Que vous écriviez un article dans le quotidien Le Monde. » Dans le livre Djamila Boupacha, Gallimard de 1961, écrit avec Beauvoir, Gisèle raconte alors que cette dernière «a dit oui comme une chose qui allait sans dire».
L’article du Monde, intitulé simplement « Pour Djamila Boupacha », paraît dans la foulée, le 2 juin 1960, et commence par ces mots : «Ce qu’il y a de plus scandaleux avec le scandale, c’est que l’on s’y habitue». S’ensuit une description minutieuse, faite par Simone de Beauvoir, de ce que Djamila a subi. Cet article eut un retentissement international. Les autorités françaises sont submergées et assommées par les révélations de l’article, aussi bien a Alger qu’à Paris. Le premier ministre Français Michel Debré fait saisir le journal « Le Monde » en Algérie. C’est cet article qui est à l’origine, en France, de la création du Comité de défense pour Djamila Boupacha en juin 1960. Présidé par Simone de Beauvoir, ce comité de soutien compte aussi des personnalités de premier plan et des noms prestigieux comme Aragon, Elsa Triolet, Jean-Paul Sartre, Germaine de Gaulle, Jean Amrouche, Aimé Césaire, Édouard Glissant, René Julliard, Anise Postel-Vinay et Germaine Tillion, toutes deux anciennes résistantes et déportées à Ravensbrück lors de la seconde guerre mondiale. Grâce aux actions du comité, le tribunal d’Alger est dessaisi du dossier au profit de celui de Caen en France et Djamila est transférée, par avion militaire, à la prison de Fresnes, le 21 juillet 1960, puis à celle de Pau, de crainte que l’on abatte Djamila dans sa cellule, à la prison d’Alger, afin qu’elle ne parle pas des sévices qu’elle a subie. Pour les faits de torture, Gisèle poursuit le Ministre de la défense Pierre Mesmer ainsi que le général Charles Ailleret qui commande alors l’armée française en Algérie pour forfaiture. Djamila Boupacha comparait à Caen (France) fin juin 1961, dans un procès au cours duquel elle identifie ses tortionnaires mais au terme duquel elle est condamnée à mort le 28 juin de la même année. Sauvée de la mort, elle restera cependant en prison en France jusqu’à la signature des accords d’Évian, le 19 mars 1962.
Dès ce moment, Djamila Boupacha s’impose comme l’une des grandes icônes féminines de la guerre d’Algérie et comme l’un des mythes nationaux de l’après indépendance. Elle est amnistiée dans le cadre des accords d’Evian, et finalement libérée le 21 avril 1962 (Ordonnance de non lieu du 7 mai 1962). Il est intéressant de noter que les officiers français qui l’ont interrogée à Alger expriment des opinions favorables à son sujet ; l’officier du sous-secteur de Bouzaréah déclare le 14 février 1960, ceci : « C’est une fille farcie de propagande, tendant au mysticisme, ne cachant pas ses idées, les exposant d’ailleurs avec une certaine noblesse d’esprit». Le commandant militaire du même secteur « l’estime, le 111 mars 1960, comme une jeune fille physiquement et moralement saine, qui a témoigné d’une grande noblesse d’esprit et de beaucoup d’honnêteté dans ses déclarations ». Quant au commandant du secteur d’Alger-Sahel, il note, le 3 juin 1960, «qu’elle est fortement imprégnée de propagande, rebelle avec une tendance au mysticisme, franche et exprimant ses idées avec courage ». Son histoire inspire le célèbre peintre Franco-espagnol Pablo Picasso en décembre 1961 en lui consacrant une toile de peinture, restée célèbre dans le monde artistique, et qui illustre la couverture du livre que Gisèle et Simone de Beauvoir publient en 1962 sur ce dossier intitulé «Pour Djamila». Elle est aussi peinte, la même année, par le pinceau du peintre Roberto Matta ; œuvre qu’il nomma : « Le Supplice de Djamila» ; et, en 1962, le musicien Italien Luigi Nono rend hommage à Djamila par une œuvre musicale dans une pièce de ses «Canti di Vita et d’Amore» (Chant de la vie et de l’Amour).
Son avocate Gisele lui consacre un livre en 1962, en collaboration avec Simone de Beauvoir et des témoignages de Henri Alleg, Mme Maurice Audin, du général de Bollardière, de R. P. Chenu, du Dr Jean Dalsace, de J. Fonlupt-Esperaber, Françoise Mallet-Joris, Daniel Mayer, André Philip, J. F. Revel, Jules Roy,Françoise Sagan. Rita Maran lui consacre, en 1989, un ouvrage en Anglais, intitulé : « Torture, the role of ideology in the French-Algerian war”. En 2000, Francesca Solleville interprète Djamila composée par Bernard Joyet sur le disque « Grand frère petit frère ». en 2012, Bernard Joet reprend la chanson dans son disque « Autodidacte».

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Le supplice de Djamila Boupacha

Article - par Christelle Taraud dans mensuel n°371 daté janvier 2012 à la page 64 | GratuitArrêtée et torturée en 1960,
cette combattante du FLN est devenue l'une des icônes féminines de la guerre d'Algérie.
En 1974, en pleine ère Boumediene, 336 786 militants étaient recensés par le ministère des Anciens Moudjahidin. Parmi eux, 10 949 femmes, soit 3,10 % du total. Dans ce pourcentage de femmes combattantes, qui furent une minorité durant la guerre d'Algérie, les fidayates qui opéraient en contexte urbain - soit 2 % seulement du total des femmes moudjahidin - ont fortement marqué les esprits tant français qu'algériens du fait notamment de leur rôle dans la bataille d'Alger de 1957. Iconifiées par le très beau film de Gillo Pontecorvo en 1966 La Bataille d'Alger, ces dernières deviennent les symboles d'une guerre totale dans laquelle la violence imprègne toutes les catégories de la population.
Nationalisée et FLNisée, cette violence des femmes ne pouvait, cependant, être utile politiquement que sur le mode de l'exceptionnalité. D'où l'arrivée sur le devant de la scène de profils singuliers comme celui de Djamila Boupacha. Accusée d'avoir posé un obus piégé à la brasserie des Facultés, à Alger, le 27 septembre 1959, Djamila Boupacha est arrêtée par l'armée française, le 10 février 1960. Pendant un mois, et en toute illégalité puisqu'elle n'est officiellement emprisonnée nulle part, cette dernière est insultée, battue, torturée et violée. Réapparue « miraculeusement » en mars 1960, Djamila Boupacha va très vite incarner le caractère indicible de la guerre d'Algérie, ses dérives les plus violentes et les moins acceptables.
Dès la prise en charge de son « affaire » par l'avocate Gisèle Halimi, en mai 1960, cette dernière cherche à médiatiser son cas en en faisant le procès des « méthodes de guerre » en Algérie. Dès son retour à Paris, Gisèle Halimi tente donc de mobiliser les intellectuels et les hommes politiques français. Après avoir écrit en vain à Charles de Gaulle et à André Malraux, elle pense à Simone de Beauvoir. L'auteure du Deuxième Sexe, très engagée avec Jean-Paul Sartre dans la lutte anticoloniale, semble être la personne idéale pour médiatiser cette histoire. Les deux femmes se rencontrent le 24 mai 1960. Gisèle Halimi lui raconte avec des mots simples et percutants le calvaire de Djamila Boupacha, jeune Algérienne, membre du FLN, mise au secret pendant plus d'un mois, torturée, violée alors qu'elle était vierge et musulmane pratiquante... Simone de Beauvoir répond simplement : « Que voulez-vous que je fasse ? » Gisèle Halimi : « Que vous écriviez un article dans Le Monde. »
Dans le livre Djamila Boupacha Gallimard, 1961, écrit avec Beauvoir, Gisèle Halimi raconte alors que cette dernière « a dit oui comme une chose qui allait sans dire ». L'article du Monde, intitulé simplement « Pour Djamila Boupacha », paraît dans la foulée, le 2 juin 1960, et commence par ces mots : « Ce qu'il y a de plus scandaleux avec le scandale, c'est que l'on s'y habitue. » S'ensuit une description minutieuse, faite par Simone de Beauvoir, de ce que Djamila Boupacha a subi. A sa lecture, on comprend pourquoi cet article eut un tel retentissement. D'un point de vue pratique, c'est lui qui est à l'origine, en France, de la création du Comité de défense pour Djamila Boupacha en juin 1960. Présidé par Simone de Beauvoir, ce comité compte aussi des personnalités de premier plan et des noms prestigieux comme Aragon et Elsa Triolet, Jean-Paul Sartre et Germaine de Gaulle, Jean Amrouche et Aimé Césaire, Édouard Glissant et René Julliard, Anise Postel-Vinay et Germaine Tillion, toutes deux anciennes résistantes et déportées à Ravensbrück.
Grâce aux actions du comité, le tribunal d'Alger est dessaisi du dossier au profit de celui de Caen et Djamila Boupacha est transférée, par avion militaire, à la prison de Fresnes, le 21 juillet 1960, puis à celle de Pau. Sauvée de la mort, elle restera cependant en prison en France jusqu'à la signature des accords d'Évian, le 18 mars 1962. Dès ce moment pourtant, Djamila Boupacha s'impose comme l'une des grandes icônes féminines de la guerre d'Algérie et comme l'un des mythes nationaux sur lequel le pays se construira ensuite. Portraiturée par Pablo Picasso en décembre 1961, son histoire inspire aussi, la même année, le peintre Roberto Matta pour Le Supplice de Djamila et, en 1962, le musicien Luigi Nono.
Après la guerre, Djamila Boupacha fut, un temps, utilisée pour asseoir la légitimité symbolique et politique du régime de parti unique mis en place par le FLN ; puis elle a disparu progressivement de la scène publique comme bien d'autres femmes algériennes qui avaient pourtant participé activement à la libération de leur pays.

Par Christelle Taraud

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Djamila Boupacha, née le 9 février 1938 à Bologhine (anc. Saint-Eugène), est une militante du Front de libération nationale algérien arrêtée en 1960 pour une tentative d'attentat à Alger. Ses aveux – obtenus par le viol, et la torture – donnèrent lieu à un jugement transformé – à l’initiative de Gisèle Halimi et de Simone de Beauvoir – en procès médiatique des méthodes de l'armée française en Algérie. Condamnée à mort le 28 juin 1961, Djamal Boupacha fut amnistiée dans le cadre des accords d'Évian, et finalement libérée le 21 avril 1962 (ordonnance de non lieu le 7 mai 1962).
Fille d'Abdelaziz Ben Mohamed et d'Amarouche Zoubida Bent Mohamed, cette jeune musulmane et fille de militant s'engagea dans le FLN sous le nom de guerre de Khelida lors de la Guerre d'Algérie. En 1960, elle fut accusée d'avoir déposé une bombe - désamorcée - à la Brasserie des Facultés le 27 septembre 1959 à Alger2,3. Suivant Gisèle Halimi, « elle n'avait pas commis d'attentat mais était sur le point d'en commettre un ».
Elle fut arrêtée le 10 février 1960 en compagnie de son père, de son frère, sa sœur Nafissa et de son beau-frère Abdellih Ahmed. Emprisonnée clandestinement (officiellement, elle ne fut pendant un mois incarcérée nulle part), elle fut violée et subit pendant plus d'un mois de nombreux sévices, infligés par des membres de l'armée française :
« On lui fixa des électrodes au bout des seins avec du papier collant Scotch, puis on les appliqua aux jambes, à l'aine, au sexe, sur le visage. Des coups de poing et des brûlures de cigarettes alternaient avec la torture électrique. Ensuite on suspendit Djamila par un bâton au-dessus d'une baignoire et on l'immergea à plusieurs reprises. »
Djamila Boupacha réapparut « miraculeusement » un mois plus tard et vit son cas pris en charge par l'avocate Gisèle Halimi en mai 1960. À la demande de cette dernière, qui souhaitait utiliser l'affaire pour dénoncer les méthodes de l'armée française en Algérie, Simone de Beauvoir rédigea une tribune dans les colonnes du journal Le Monde en date du 2 juin 1960 intitulée Pour Djamila Boupacha ; le premier ministre Michel Debré fit saisir le journal en Algérie. L'affaire Djamila Boupacha prit une ampleur médiatique et internationale importante lorsque, dans la foulée de la tribune, un Comité pour Djamila Boupacha fut créé en juin 1960, comité présidé par Simone de Beauvoir, et qui comprenait parmi ses membres Jean-Paul Sartre, Louis Aragon, Elsa Triolet, Gabriel Marcel, Geneviève de Gaulle, Aimé Césaire ou encore Germaine Tillion.
À la suite des pressions du comité de soutien qui s'était constitué pour sa défense et par l'entremise de Simone Veil, alors magistrate, le tribunal d'Alger fut dessaisi du dossier au profit de Caen et Djamila Boupacha fut transférée par avion militaire en France métropolitaine pour y être jugée ; on craignait en effet qu'elle ne soit abattue dans sa cellule pour mieux étouffer l'affaire. Elle fut placée en détention à la prison de Fresnes le 21 juillet 1960, puis à celle de Pau. Pour les faits de torture, Gisèle Halimi poursuivit le ministre de la défense Pierre Mesmer ainsi que le général Charles Ailleret, qui commandait alors l'armée française en Algérie, pour forfaiture.
Djamila Boupacha comparut à Caen fin juin 1961, dans un procès au cours duquel elle identifia ses tortionnaires mais au terme duquel elle fut condamnée à mort, le 28 juin. En 1962 elle fut amnistiée en application des accords d'Évian mettant fin à la guerre d’Algérie et libérée le 21 avril 1962. Réfugiée chez Gisèle Halimi, elle fut séquestrée puis transférée à Alger par la Fédération de France du FLN, qui dénonça « l'opération publicitaire tentée à des fins personnelles » par l'avocate Gisèle Halimi. Le FLN ne pouvait accepter de perdre la main sur l'arme symbolique de premier ordre que constituait la jeune militante.
De fait, Djamila Boupacha devint, par son martyre, un enjeu de mémoire pour les nationalistes algériens, une figure iconique de la lutte, destinée à être érigée en mythe fondateur de la nation algérienne à construire. Élevée à ce statut d'icône, elle ne devait pas cependant en sortir : du point de vue des dirigeants nationalistes algériens, la violence perpétrée et/ou subie par les femmes ne pouvait « être utile que sur le mode l'exceptionnalité ». Comme le souligne Christelle Taraud, si l'État algérien devenu indépendant utilisa dans l'immédiat après-guerre Djamila Boupacha comme un symbole « propre à asseoir la légitimité symbolique et politique du régime de parti unique mis en place par le FLN », elle fut progressivement mise de côté et disparut de la scène publique, à l'instar de nombreuses militantes nationalistes à avoir joué un rôle déterminant dans la libération de leur pays.
Le peintre Pablo Picasso a créé le portrait de Djamila Boupacha qui illustre la couverture du livre que Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir publient avec d'autres en 1962 sur la militante FLN. La même année, le peintre Roberto Matta réalise son Supplice de Djamila. Toujours en 1962, le musicien Luigi Nono (1924-1990) rend hommage à la jeune femme en lui consacrant une pièce vocale de ses Canti di Vita et D'amore ; d'une durée d'environ dix minutes, elle est composée pour soprano solo et intitulée Djamila Boupacha. En 2000, Francesca Solleville interprète Djamila composée par Bernard Joyet sur le disque Grand frère petit frère. En 2012, Bernard Joyet reprend la chanson dans son disque Autodidacte.

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Gisel sur France Culture

 

 

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Film sur Djamila Boupacha

Pour Djamila