HIZIYA

18/06/2021 23:04

HIZIYA

 

 

Hiziya

 

 

Hiziya ou Hizia (arabe : حيزية) est l'héroïne d'une élégie du poète algérien Mohamed Ben Guittoun écrite au xixe siècle et immortalisée au xxe siècle lorsqu'elle fut interprétée par les chanteurs bédouins Abdelhamid Ababsa et Khelifi Ahmed

 

Historique

 

Selon la tradition orale, Hiziya, de la famille des Bouakkaz, de la puissante tribu des Dhouaouda, descendants des tribus de Beni Hilal qui avaient envahi le Maghreb au xie siècle, était une jeune femme d'une beauté remarquable et à l'âme limpide qui vivait à Sidi Khaled dans les Zibans occidentaux.

 

La famille, comme la majorité des habitants de la région pratiquait la transhumance vers les Hauts Plateaux durant la saison chaude et retournait à l'oasis durant la saison froide. Le parcours de transhumance s'étendait depuis Bazer Sakhra, dans la plaine de Sétif au nord jusqu'à Ouled Djellal au sud.

 

Hiziya, fille de Ahmed Ben el Bey était amoureuse de son cousin Saïd, orphelin recueilli dès sa plus jeune enfance par son oncle, puissant notable de la tribu et père de la jeune fille. Elle aurait vécu une histoire d'amour mouvementée couronnée par un mariage qui dura à peine un mois.

 

Ben Guittoun dans son poème fixe la date de sa mort à 1295 de l'Hégire, soit 1878 de l'ère chrétienne ; elle avait 23 ans. Hiziya serait donc née en 1855.

 

La cause de son décès fut et reste une énigme. Le poème ne nous révèle rien sinon que la mort fut subite ; un mal soudain entre deux haltes, à Oued Tell, une localité à 50 km au sud de Sidi Khaled, au retour de la tribu de son séjour saisonnier dans le nord.

 

Saïd eut recours, trois jours après le décès, aux services du poète Ben Guittoun pour écrire un poème à la mémoire de sa bien-aimée.

 

Plus tard, le malheureux cousin s'exilera loin de sa tribu et vivra solitaire dans l'immensité du désert des Zibans jusqu'à sa mort.

 

Quant au corps de sa bien-aimée il repose au cimetière des Douaouda à Sidi Khaled.

 

Commentaires

 

Pour le Dr Boudjemaa Haichour, chercheur universitaire, il y a beaucoup de ressemblance avec la structure poétique de l'imaginaire arabe de la période anté-islamique (el Djahilia). Dans cette merthia, sorte d'oraison funèbre, le poète pleure la belle, élégie d'une litanie sentimentale, et nous mène dans la profondeur des sentiments d'affection et d'affliction et tout le récit se résume à la volonté de Dieu et à la fatalité du destin.

 

Interprètes

 

« Le poème a été achevé en 1295 de l'Hégire, soit 1878 J.C. Ould Seghir a composé, au mois de l'Aïd el Seghir, cette chanson à Sidi Khaled Nen Sinan. Ben Guittoun a chanté celle que vous avez vue vivante. »

 

Ont aussi interprété le poème :

 

Abdelhamid Ababsa

 

Khelifi Ahmed

 

Rabah Driassa

 

Constantin Louis Sonneck (1849-1904), interprète de l'armée d'Afrique1, en poste en Algérie à partir de 18672, donne une traduction française du poème en 1899 dans Six chansons arabes en dialecte maghrébin3, puis une autre en 1904 dans Chants arabes du Maghreb4,5. Souhel Dib reprend cette dernière en 1987 dans son Anthologie de la poésie populaire algérienne d'expression arabe.

 

 

 

HISTOIRE : Une jeune fille, bent Ahmed Belbey, originaire de Beni Hilal, née en 1852. Elle aimait secrètement son cousin Saïd. Un amour devenu célèbre, après la mort de Hizia en 1875, à l’âge de 23 ans. Ne pouvant supporter la douleur de la mort de sa bien-aimée, Saïd erre quelque temps, avant de demander au grand poète de la région, Ben Guitoun, de l’immortaliser par un poème. Le maître du melhoun le prend en pitié, après avoir écouté son histoire d’amour

 

 

 

 

 

 

« Amis, consolez-moi; je viens de perdre la

 

reine des belles. Elle repose sous terre.

 

Un feu ardent brûle en moi !

 

Ma souffrance est extrême. Mon coeur s'en

 

est allé, avec la svelte Hiziya.

 

hélas ! Plus jamais je ne jouirai de sa

 

compagnie. Finis les doux moments,

 

où, comme au printemps, les fleurs des

 

prairies, nous étions heureux.

 

Que la vie avait pour nous de douceurs !

 

telle une ombre, la jeune gazelle a

 

disparu, en dépit de moi !

 

Lorsqu'elle marchait, droit devant elle, ma

 

bien-aimée était admirée par tous.

 

Telle le bey du camp qui s'avance un

 

cimeterre à la ceinture.

 

Entouré de soldats et suivi de cavaliers qui

 

sont venus à sa rencontre, pour lui

 

remettre chacun un présent;

 

Armé d'un sabre d'Inde, il lui suffit de

 

faire un geste de la main, pour

 

partager une barre de fer, ou fendre

 

un roc.

 

Il a tué un grand nombre d'hommes,

 

ennemis du bien. Orgueilleux et

 

superbe, il s'avance fièrement.

 

C'est assez glorifier le bey ! Dis-nous,

 

chanteur, dans une nouvelle chanson

 

les louanges de la fille d'Ahmad ben

 

al-Bey.

 

Amis, consolez-moi; je viens de perdre la

 

reine des belles. Elle repose sous terre.

 

Un feu ardent brûle en moi !

 

Ma souffrance est extrême. Mon coeur s'en

 

est allé, avec la svelte Hiziya.

 

Lorsqu'elle laisse flotter sa chevelure, un

 

suave parfum s'en dégage. Ses

 

sourcils forment deux arcs bien

 

dessinés, telle la lettre noun, tracée

 

dans un message.

 

Ton oeil ravit les coeurs, telle une balle de

 

fusil européen, qui aux mains des

 

guerriers, atteint sûrement le but.

 

Ta joue est la rose épanouie du matin, et

 

le brillant oeillet; le sang qui l'arrose

 

lui donne l'éclat du soleil.

 

tes dents ont la blancheur de l'ivoire, et,

 

dans ta bouche étincelante, la salive

 

a la douceur du lait des brebis ou du

 

miel qu'apprécient tant les gourmets.

 

Admire ce cou plus blanc que le coeur du

 

palmier. C'est un étui de cristal,

 

entouré de colliers d'or.

 

Ta poitrine est de marbre; il s'y trouve

 

deux jumeaux, que mes mains ont

 

caressés, semblables aux belles

 

pommes qu'on offre aux malades.

 

Ton corps a la blancheur et le poli du

 

papier, du coton ou de la fine toile de

 

lin, ou encore de la neige, tombant

 

par une nuit obscure.

 

Hiziya a la taille fine; sa ceinture, penche

 

de côté, et ses tortis entremêlés

 

retombent sur son flanc repli par

 

repli.

 

Contemple ses chevilles; chacune est

 

jalouse de la beauté de l'autre;

 

lorsqu'elles se querellent elles font

 

entendre le cliquetis de leurs

 

khelkhals, surmontant les

 

brodequins

 

(vaste plaine au S. E. de Sétif où les nomades de Biskra venaient faire paître leurs troupeaux en été )

 

Quand nous campions à Bazer1, je me

 

rendais auprès d'elle le matin; alors

 

nous goûtions les joies de ce monde.

 

je saluais la gazelle; j'observais les

 

présages; heureux comme un homme

 

fortuné, possédant les trésors de

 

l'univers.

 

La richesse n'avait pour moi aucune

 

valeur, comparée au tintement des

 

khelkhals de Hiziya, quand je

 

franchissais les collines pour aller la

 

rencontrer.

 

Lorsqu'au milieu des prairies, elle

 

balançait son corps avec grâce, et

 

faisait résonner son khelkhal, ma

 

raison s'égarait; un trouble profond

 

envahissait mon coeur et mes sens.

 

 

 

Après avoir passé l'été dans le Tell, nous

 

redescendîmes vers le Sahara, ma

 

belle et moi.

 

Les litières étaient fermées; la poudre

 

retentissait; mon cheval gris

 

m'entraînait vers Hiziya.

 

Ils ont conduit les palanquins des belles, et

 

ont campé à Azal, face à Sidi

 

Lahcen et à Zerga.

 

Ils se sont dirigés vers Sidi Said vers al-

 

Matkaouak, puis sont arrivés le soir

 

à M'Doukal.

 

Ils sont repartis de bon matin, au lever de

 

la brise, vers Sidi Mohammed,

 

ornement de cette paisible contrée.

 

De là, ils ont conduit les litières à

 

al-Makhraf. Mon cheval, tel un aigle,

 

m'emporte dans les airs,

 

en direction de Ben Seghir, avec la belle

 

aux bras tatoués.

 

Après avoir traversé l'Oued, ils sont passés

 

par Al Hanya. Ils ont dressé leurs

 

tentes à Rous at-Toual, près du désert.

 

L'étape suivante mène à Ben Djellal.

 

De là, ils se sont dirigés vers El Besbes, puis

 

vers El-Herimek, avec ma bien-aimée

 

Hiziya.

 

A combien de réjouissances avons-nous

 

pris part ! Mon cheval gris,

 

disparaissait presque dans l'arène,

 

(derrière un rideau de poussière); on

 

aurait dit un fantôme.

 

Ma belle était grande comme la hampe

 

d'un étendard; ses dents, lorsqu'elle

 

souriait, formaient une rangée de

 

perles; elle parlait par allusions, me

 

faisant ainsi comprendre (ce qu'elle

 

voulait dire).

 

La fille de Hmida brillait, telle l'étoile du

 

matin; elle éclipsait ses compagnes,

 

semblable à un palmier qui seul,

 

dans le jardin, se tient debout, grand

 

et droit.

 

Le vent l'a déraciné, il l'a arraché en un

 

clin d'oeil. Je ne m'attendais pas à

 

voir tomber ce bel arbre; je pensais

 

qu'il était bien protégé.

 

mais j'ignorais que Dieu, souverainement

 

bon, allait la rappeler à Lui. Le

 

Seigneur a abattu (ce bel arbre).

 

je reprends mon récit. Nous avons campé

 

ensemble sur l'Oued Ithel; c'est là que

 

la reine des jouvencelles me dit

 

adieu. C'est cette nuit-là qu'elle passa

 

de vie à trépas; c'est là que la belle

 

aux yeux noirs quitta ce monde.

 

Elle se tenait serrée contre ma poitrine,

 

lorsqu'elle rendit l'âme. Les larmes

 

remplirent mes yeux, et s'écoulaient

 

sur mes joues.

 

Je pensais devenir fou, et me mis à errer

 

dans la campagne, parcourant tous

 

les ravins des montagnes et des

 

collines.

 

Elle a ravi mon esprit et enflammé mon

 

coeur la belle aux yeux noirs, issue

 

d'une race illustre.

 

On l'enveloppa d'un linceul, la fille de

 

notable; ce spectacle a augmenté ma

 

fièvre, et ébranlé mon cerveau.

 

On la mit dans un cercueil, la belle aux

 

magnifiques pendants d'oreilles. Je

 

demeurais stupide, ne comprenant

 

pas ce qui m'arrivait.

 

On l'emporta dans un palanquin, embelli

 

par des ornements, la belle, cause de

 

mes chagrins, qui était grande telle la

 

hampe d'un étendard.

 

Sa litière était ornée de broderies

 

bigarrées, scintillantes comme les

 

étoiles, et colorées comme un arc-en-

 

ciel, au milieu des nuages, quand

 

vient le soir.

 

 

 

Elle était tendue de soie et tapissée de

 

brocart. Et moi, comme un enfant, je

 

pleurais la mort de la belle Hiziya.

 

Que de tourments j'ai endurés pour

 

celle dont le profil était si pur ! Je ne

 

pourrai plus vivre sans elle. Elle est

 

morte du trépas des martyrs, la belle

 

aux paupières teintées d'antimoine !

 

On l'emporta vers un pays nommé

 

Sidi Khaled.

 

Elle se trouva la nuit sous les dalles du

 

sépulcre, celle dont les bras étaient

 

ornés de tatouages; mes yeux ne

 

devraient plus revoir la belle aux yeux

 

de gazelle.

 

Ô fossoyeur ! ménage l'antilope du désert;

 

ne laisse point tomber de pierres, sur

 

la belle Hiziya ! Je t'en adjure, par le

 

livre saint, ne fais point tomber de

 

terre sur celle qui brille comme un

 

miroir. S'il fallait la dis****r à des

 

rivaux, je fondrais résolument sur

 

trois troupes de guerriers.

 

Je l'enlèverais par la force des armes aux

 

ennemis. Dussé-je le jurer par la tête

 

de la belle aux yeux noirs, je ne

 

compterais pas mes adversaires,

 

fussent-ils au nombre de cent.

 

Si elle devait rester au plus fort, je jure

 

que nul ne pourrait me la ravir;

 

j'attaquerais, au nom de Hiziya, une

 

armée entière.

 

Si elle devait être le trophée d'un combat,

 

vous entendriez le récit de mes

 

exploits; je l'enlèverais de haute lutte,

 

devant témoins.

 

S'il fallait la mériter au cours de rencontres

 

tumultueuses, je combattrais durant

 

des années, pour elle.

 

Je la conquerrais au prix de persévérants

 

efforts, car je suis un cavalier

 

intrépide.

 

Mais puisque telle est la volonté de Dieu,

 

maître des mondes, je ne puis

 

détourner de moi cette calamité.

 

Patience ! Patience ! J'attends le moment

 

de te rejoindre : je pense à toi, ma

 

bien-aimée, à toi seule !

 

Amis, mon cheval me fendait le coeur,

 

lorsqu'il s'élançait en avant (attristé

 

par la perte de Hiziya).

 

Après la mort de ma bien-aimée, il s'en est

 

allé, et m'a quitté.

 

Mon cheval était plus rapide que tous les

 

autres chevaux du pays; dans les

 

échauffourées, on le voyait en tête du

 

peloton.

 

Quels prodiges n'accomplissait-il pas sur le

 

champ de bataille !

 

Il se montrait au premier rang. Sa mère

 

descendait du fameux Rakby2. (Nom d'un étalon célèbre amené du Maroc par si Ahmed Tidjani )

 

Combien il excellait dans les joutes entre

 

les douars, à la suite de la tribu en

 

marche; je tournoyais avec lui

 

insouciant de ma destinée ! Un mois

 

plus tard, il m'avait quitté; trente

 

jours après Hiziya.

 

Cette noble bête mourut; le voilà au fonds

 

d'un précipice; il ne survécut pas à

 

ma bien-aimée. Tous deux sont partis

 

pour toujours.

 

Les rênes de mon cheval gris sont tombés

 

de mes mains.

 

Ô Douleur ! Dieu, en les rappelant à lui,

 

m'a enlevé toute raison de vivre.

 

Mon âme est près de s'éteindre, après leur

 

cruelle perte.

 

Je pleure cette séparation, comme pleure

 

un amoureux.

 

Mon coeur se consume chaque jour

 

davantage; ma vie n'a plus de sens.

 

Pourquoi pleurez-vous mes yeux ? Nul

 

doute que les plaisirs du monde vous

 

raviront. Ne me ferez-vous point

 

grâce ?

 

la belle aux cils noirs a ravivé mes

 

tourments; celle qui faisait la joie de

 

mon coeur repose sous la terre.

 

Je pleure la belle aux dents de perles; mes

 

cheveux ont blanchi; et mes yeux ne

 

peuvent supporter cette séparation.

 

Le soleil qui nous a éclairé, est monté au

 

Zénith, se dirigeant vers l'Occident; il

 

s'est éclipsé après avoir été le sommet

 

de la voûte céleste, au milieu du jour.

 

La lune qui se montre à nous, a brillé

 

pendant le mois du Ramadhan, puis

 

a disparu du ciel, après avoir fait ses

 

adieux au monde.

 

Ce poème, je le dédie à la mémoire de la

 

reine du siècle, fille d'Ahmed, et

 

descendante de l'illustre tribu des

 

Douaouda.

 

Telle est la volonté de Dieu, mon Maître

 

Tout-Puissant. Le Seigneur a manifesté

 

sa volonté, et a rappelé à lui Hiziya.

 

Mon Dieu ! Donne-moi la patience;

 

mon coeur meurt de son mal,

 

emporté par l'amour de la belle, qui

 

a quitté ce monde.

 

Elle vaut deux cents chevaux de race, et

 

cent cavales issues de Rakby.

 

Elle vaut mille chameaux; elle vaut une

 

forêt de palmiers des Ziban.

 

Elle vaut tout le pays du Djérid; elle vaut

 

le pays des noirs, et des milliers de

 

Haoussas.

 

Elle vaut les Arabes du Tell et du désert,

 

ainsi que tous les campements des

 

tribus, aussi loin que puissent

 

atteindre les caravanes, voyageant à

 

travers les cols des montagnes.

 

Elle vaut ceux qui mènent la vie

 

bédouine, et ceux qui habitent les

 

continents.

 

Elle vaut ceux qui se sont installés dans

 

des demeures permanentes et mènent

 

une vie de citadins.

 

Elle vaut les trésors, la belle aux beaux

 

yeux; et si cela ne suffit pas, ajoutes-y

 

les habitants des villes.

 

Elle vaut les troupeaux des tribus, les

 

bijoux, les palmiers des oasis, le pays

 

des Chaouias.

 

Elle vaut ce que renferment les océans;

 

elle vaut les Bédouins et citadins

 

vivant au delà du Djebel Amour, et

 

jusqu'à Ghardaïa.

 

Elle vaut, elle vaut le Mzab, et les plaines

 

du Zab, hormis les saints et les

 

marabouts.

 

Elle vaut les chevaux recouverts de riches

 

carapaçons, et l'étoile du soir; cela est

 

peu, trop peu, pour ma bien-aimée,

 

unique remède à mes maux.

 

Je demande pardon au Seigneur; qu'il ait

 

pitié de ce malheureux !

 

Que Mon Seigneur et Maître pardonne à

 

celui qui gémit à ses pieds ! Elle avait

 

23 ans, la belle à l'écharpe de soie.

 

Mon amour l'a suivie; il ne renaîtra

 

jamais dans mon coeur.

 

Consolez-moi de la perte de la reine des

 

gazelles. Elle habite la demeure des

 

ténèbres, l'éternel séjour.

 

Jeunes amis ! Consolez-moi de la perte du

 

faucon.

 

Elle n'a laissé que le lieu où sa famille a

 

campé, et qui porte son nom.

 

Bonnes gens ! Consolez-moi de la perte de

 

la belle aux khelkhals d'argent pur; on

 

l'a recouverte d'un voile de pierre

 

reposant sur des fondations bien

 

bâties.

 

Amis ! Consolez-moi de la perte de la

 

cavale de Dyab3 qui n'eut d'autre (l'un des principaux héros de la geste des banou Hilal )

 

maître que moi.

 

J'avais de mes mains, tatoué de dessins

 

quadrillés, la poitrine de la belle à la

 

fine tunique, ainsi que ses poignets.

 

Bleus comme le col du ramier, leurs traits

 

ne se heurtaient pas; ils étaient

 

parfaitement tracés, quoique sans

 

plume; seules mes mains avaient

 

exécuté ce travail.

 

J'avais dessiné ce tatouage entre ses seins,

 

lui donnant d'heureuses proportions.

 

Au-dessus des bracelets qui paraient ses

 

poignets, j'avais écrit mon nom.

 

Même sur ses chevilles, j'avais figuré un

 

palmier !

 

Que ma main l'avait bien dessiné ! Ah ! La

 

vie est ainsi faite !

 

Saiyed, toujours épris de toi, ne te reverra

 

plus; le seul souvenir de ton nom, lui

 

fait perdre ses sens. Pardonne-moi,

 

Dieu compatissant; pardonne aussi à

 

tous les assistants; Saiyed est triste; il

 

pleure celle qui lui était si chère. Aie

 

pitié de l'amoureux, et pardonne à

 

Hiziya; réunis-les dans le sommeil,

 

Seigneur !

 

Ô Dieu, le Très-Haut. Pardonne à

 

l'auteur, qui a composé ce poème; son

 

nom est formé de deux mim, d'un ha

 

et d'un dal (Mohamed).

 

Ô Toi qui connais l'avenir ! Donne la

 

résignation à cet homme, qui est fou

 

(de douleur); je pleure comme un

 

exilé; mes larmes apitoieraient même

 

mes ennemis.

 

Je ne mange plus; toute nourriture m'est

 

devenue insipide; mes paupières ne

 

connaissent plus le sommeil.

 

Cette pièce a été composée trois jours

 

seulement après la mort de celle qui

 

me fit ses adieux, et ne revint plus

 

vers moi.

 

 

 

Ô vous qui m'écoutez ! Ce poème a été

 

achevé en 1295 de l'Hégire. (fin de l'année 1878 ap. J. C.)Ould Seghir a composé, au mois de l'Aid

 

El-Kebir, cette chanson.

 

A Sidi Khaled ben Sinan, Ben Guittoun a

 

chanté celle que vous aviez vue vivante.