Hommage à une militante Hamida Ben Sadia

30/10/2015 10:11
Hommage à une militante
Hamida Ben Sadia
 

Hommage à une militante

Hamida Ben Sadia

 

par Pierre Tevanian, Sylvie Tissot
29 octobre 2015
Il y a six ans aujourd’hui qu’Hamida Ben Sadia nous a quittés, et son énergie, sa clairvoyance, sa droiture nous manquent plus que jamais. Voici donc, en souvenir et en hommage à une soeur de lutte, un texte qui fut écrit et publié le jour où nous avons appris sa disparition.
Lorsqu’elle prenait la parole, lors des nombreux meetings et manifestations qui ont rythmé sa vie politique, que ce soit, dernièrement, contre la loi anti-voile, contre le Traité européen, contre la répression des émeutiers de 2005 ou pour les sans-papiers, Hamida Ben Sadia en appelait souvent au « peuple de France, épris de justice et de liberté ». Nous étions nombreuses autour d’elle à n’avoir pas ce vocabulaire et à être plutôt de celles et ceux qu’il fait ricaner, tant ces mots ont servi à justifier le pire : orgueil national, morgue franco-française, mépris du reste du monde, mythification d’une république bourgeoise, patriarcale et coloniale, et pourtant pas une de nous ne ricanait quand Hamida les prononçait. Les plus fatigué-e-s souriaient mais personne ne se formalisait, car tout le monde savait qu’il s’agissait chez elle de tout autre chose.
Un reste de légitimisme bien compréhensible ? Une stratégie rhétorique ? Le tribut à payer, de la part d’une femme française d’origine algérienne, pour s’autoriser une parole publique libre et à rebours de l’idéologie dominante ? Peut-être – car c’est en tout cas d’une parole libre qu’il s’agissait, à rebours de l’ordre assimilationniste, une parole juste et sans concession, une exigence radicale et opiniâtre d’égalité, une solidarité ostensible et décomplexée avec tous les parias de la république : sans-papiers, émeutiers, musulmanes voilées – mais là n’était pas l’essentiel.
Il y avait autre chose, dans cette invocation d’un peuple « épris de justice et de liberté », qui forçait le respect. Ce que nous y entendions, et qui étouffait aussitôt toute velléité sarcastique – et Dieu sait pourtant que les raisons sociales et politiques étaient nombreuses d’être sarcastique face à ces mots – c’était une sorte de ruse de la raison linguistique, symétrique d’une autre qui fait que nous ne nous formalisons plus d’être taxés de communautaristes ou de victimaires par les élites politiques et journalistiques : de même que nous avons compris que c’est d’elles-même que parlent en réalité ces élites, nous avons vite compris que l’appel d’Hamida au peuple de France ne disait au fond rien d’autre que sa propre exigence, viscérale, de justice et de liberté.
Ce qui précédait et suivait ces références au peuple de France, dans la parole d’Hamida, dissipait toute ambiguïté. Non, il ne s’agissait pas de flatter l’orgueil national, de narcissiser un État et une société qui se la racontent beaucoup en termes de droits humains et d’universalisme, et encore moins de faire allégeance au « pays des Lumières ». Ce n’était pas un peuple substantiel, existant, qui était invoqué, mais un peuple politique, virtuel, ce peuple qui, selon le mot profond de Paul Klee souvent cité par Gilles Deleuze, est toujours un peuple qui manque. À l’exact opposé des rénégats, bouffons et autres « indigènes de service » passés du col Mao au Rotary Club ou des cités de transit aux cabinets ministériels, Hamida était passée de SOS Racisme et du Parti Socialiste, auxquels elle avait commencé par accorder sa confiance, aux Alternatives citoyennes, aux Collectifs antilibéraux, à Une École Pour Tou-te-s et aux Féministes pour l’Égalité. À l’exact opposé des Fadela Amara, Gaston Kelman et autres Malek Boutih qui se répandent sur leur « amour de la France » et ne parlent du racisme que pour dire que « les Français ne le sont pas », Hamida ne parlait du peuple de France que pour l’appeler, l’interpeller. L’énonciation réfutait l’énoncé : ce peuple épris de justice et de liberté, elle demandait à le voir.
Aujourd’hui, alors que nous apprenons la disparition d’Hamida, ce peuple, plus que jamais, manque. Comme nous manque déjà le visage, la présence et la parole forte d’Hamida. Il nous reste son livre, Itinéraire d’une femme française, dans lequel elle raconte notamment son expérience du mariage forcé et de la violence conjugale mais aussi du racisme républicain, et dans lequel elle affirme, avec la force qui l’a toujours animée, son refus de voir l’une instrumentalisée au profit de l’autre. Il nous reste quelques traces vidéo (une présentation de son livre, une prestation télévisée sur les émeutes de de 2005) et d’innombrables souvenirs d’une militante valeureuse, éprise – et là, il faut l’entendre au plus strict premier degré, sans même sourire – de justice et de liberté. Merci pour tout Hamida.
 
P. S
Ci-après : la recension d’Itinéraire d’une femme française par Olivier Doubre, parue dans Politis.
 
Hamida Ben Sadia, une femme libre
 
C’est un récit souvent bouleversant, empreint de détermination mais aussi de fragilité. Si l’itinéraire d’Hamida Ben Sadia ressemble à celui de bien des femmes musulmanes qui ont lutté puis raconté leur combat pour leur liberté face à un mari, une famille et les sociétés des pays arabes, où elles sont considérées comme des mineures aux yeux de la loi, cette « femme française » tient d’emblée à différencier ce livre autobiographique de certains de ces récits, qui véhiculent trop souvent clichés et caricatures des traditions musulmanes.
Le ton est donc donné dans l’avant-propos de cet ouvrage sensible, tout en finesse, qui se veut le récit d’une vie et « non pas un livre de revendications », de la part de cette militante des droits des femmes des deux côtés de la Méditerranée, membre du comité central de la Ligue des droits de l’homme. Comme le précise le sous-titre, son existence est marquée par les étapes que constituent les allers-retours entre l’Algérie et la France, de Clamart à Bab El-Oued puis à Épinay-sur-Seine. Née en banlieue parisienne dans une famille kabyle pauvre non pratiquante, Hamida (comme ses parents) subit à partir de l’adolescence la pression culturelle de la famille restée au pays, avec in fine un mariage forcé et le « retour » dans un pays qu’elle connaît à peine.
Elle s’oppose bientôt avec force aux traditions et, malgré le code de la famille ou « code de la honte » promulgué en Algérie en 1984, réussit à imposer le divorce à son mari. Un divorce qu’elle paye cependant au prix fort puisque, pour pouvoir rentrer en France, elle doit laisser là-bas ses deux fils, qu’elle mettra ensuite plus de douze ans à faire revenir auprès d’elle. Sur plus de deux cents pages, Hamida Ben Sadia livre ainsi un témoignage fort, loin des idées reçues sur les femmes originaires du Maghreb. Celui d’une femme bien décidée à sauvegarder sa liberté.
 

Le combat d’une vie pour l’égalité des femmes et contre la dérive paternaliste du féminisme
L’équipe d’Oumma.com vient d’apprendre avec la plus grande tristesse le décès de la militante et écrivaine Hamida Ben Sadia qui a été de tous les combats pour l’égalité des femmes. Féministe, elle a notamment lutté contre la promulgation du Code de la Famille algérien qui, en 1984, sous couvert de respect des « valeurs islamiques », ramenait les femmes à un statut de « mineures à vie ». Eprise de liberté et refusant d’être instrumentalisée par un certain féminisme exotique aux relents néocoloniaux, Hamida Ben Sadia a été l’une des inspiratrices du collectif « Ecole pour tous-tes » qui s’est clairement opposé à la loi du 15 mars 2004 sur les signes religieux : « Je suis contre la loi interdisant l’école à des filles portant un foulard sur la tête, car ce ne sont pas des objets, il y a des êtres humains sous les foulards » (Le Monde, 26 janvier 2004). N’acceptant pas d’être traitée comme une "Beurette de service" et de verser dans l’érotisme victimaire des Ni Putes Ni Soumises, Hamida Ben Sadia a toujours prôné un féminisme populaire, loin des tentations xénophobes de certaines organisations médiatiques qui ont réussi à transformer le « sort de la femme musulmane » en objet hautement lucratif. L’équipe d’Oumma.com espère que le destin exceptionnel de Hamida Ben Sadia éveillera de nombreuses vocations militantes. Nous vous proposons de revoir l’entretien qu’elle nous a accordé en février 2009 à l’occasion de la sortie de son livre Itinéraire d’une femme française. aux éditions Bourin éditeur.

Décès de Hamida Ben Sadia par oumma