La chronique de Benchicou : L’Algérie et les festivités du 14 juillet : 1. La gifle

31/08/2014 22:19

 

La chronique de Benchicou :
L’Algérie et les festivités du 14 juillet :
1. La gifle

Mohamed Benchicou

14 Juillet 2014

Il était à redouter que ces hommes-là fussent trop prestigieux pour nos puérils gouvernants. Ce fut, hélas, le cas. Les soldats Ahmed, Djilali ou Mohamed, combattants indigènes tombés entre les Vosges et l’Alsace, à Verdun ou du côté de la Marne, « Allahou Akbar ! » il y a cent ans, quand le monde pliait sous le poids de la bête immonde, viennent d’être tués une seconde fois, d’un coup de plume. « Ils ont laissé leur vie en France pour la liberté de notre pays », dit le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, . Morts pour la liberté de la seule France, eux, Ahmed, Djilali ou Mohamed, sans patrie et sans destin ? On a laissé dire et écrire cela ! Il ne s’est trouvé donc personne parmi la cohorte de « communicants » du pouvoir algérien pour dire que ces hommes, dans cette guerre mondiale, sont morts d’abord pour la libération du monde ? Il n’y avait personne parmi les gros bras du nationalisme algérien pour préciser que ces martyrs sont allés jusqu’au bout de cette guerre devenue la leur parce que, précisément, elle conduisait à la délivrance des hommes ?
Une si salutaire précision aurait épargné à nos grands-pères soldats l’outrage de rester dans la postérité comme des supplétifs, de leur restituer leur dignité, d’affirmer la voix algérienne et d’avorter la controverse qui a entouré la décision d’envoyer trois militaires algériens participer, à Paris, au nom de leur pays, au défilé du 14 juillet que le gouvernement français a judicieusement couplé avec la célébration du centenaire de la Première Guerre mondiale. Cette polémique sans panache, entretenue par les sorciers de la haine et de la rancœur qui prospèrent sur les deux rives a achevé de ternir le blason de nos martyrs et celui de la nation.  « Que viennent-ils faire chez nous, ces enfants de fellaghas ? », a-t-on entendu dans la bouche d’une certaine France engoncée dans la haine et le ressentiment, celle-là qui s’était offusquée du spectacle de supporters algériens défilant, joyeusement, sous ce même arc de triomphe, aux cris de « One two three viva l’Algérie », drapeau national à la main. «  Que vont-ils faire chez eux, célébrer la fête des anciens colons ? », répliquaient, sur l’autre rive, les chapelles du nationalisme et de l’islamisme.
Il ne s’est trouvé personne, parmi ceux qu’on appelle les « communicants du pouvoir algérien », pourtant prolixes quand il s’agit de débiter des sottises électoralistes, pour placer cette initiative dans un devoir de reconnaissance envers les morts prestigieux, dans la nécessité historique d’affirmer haut et fort haut et fort la part de l’Algérien de Verdun comme celui de Monte Cassino, 30 ans plus tard, dans la libération du monde. Pour ce seul mérite, la jeunesse algérienne de 2014 avait le droit, arraché à l’histoire, de parader sous l’arc de triomphe, le drapeau algérien à la main. Le gouvernement algérien encourage chez sa jeunesse la diversion par le football et l’inculture. Jamais le savoir. Trois ministres algériens, dont celui de la Communication, ont été chargés d’accueillir les supporters algériens à leur retour du Brésil ; pas un seul n’a été délégué pour expliquer à l’opinion nationale la portée de l’initiative.
Le président algérien se doutait bien de tout cela. Mais seuls comptent son agenda, ses petites cachotteries et ses messes basses, toutes ces prérogatives dérisoires qui, dans la république archaïque où nous vivons, tiennent lieu de diplomatie. La souveraineté, la repentance, l’indépendance ou la mémoire ?  De simples mots dans un jeu de Scrabble, rien que des mots,  des paroles, des gazouillis qui ne relèvent plus du différend historique mais du cabotinage conjugal, cette pratique un peu malsaine qui consiste à rappeler au conjoint un antécédent fâcheux chaque fois qu’on éprouve le besoin de lui extorquer une nouvelle déclaration d’amour. Selon les réponses qu’il reçoit de la France, le président algérien peut ainsi passer de la plus grande «indignation» à la plus béate des indulgences. Voilà 15 ans que Paris s’accommode des déformations œdipiennes de notre chef d’État et qu’elle sacrifie aux simulacres. Le Maroc a eu sa saison en France ? Alors l’Algérie aura la sienne, une kermesse culturelle d’une année, à Paris, une procession de galas, d’expositions de toutes sortes, de films et de pièces de théâtre proposés au public parisien au moment où Alger ne dispose même pas d’une salle de cinéma digne de ce nom ! Voilà qu’arrive le tour des cendres illustres de brûler dans les calumets de la basse politique. Bouteflika envoie ces soldats parader sur les Champs-Elysées sans tenir compte du contexte, ainsi qu’il le fit pour ce match de football France-Algérie, en octobre 2001, que ne justifiait ni le niveau respectif des deux équipes ni le moment et qui se termina par un envahissement du terrain, des incidents qui restent, dans la mémoire des Français, l’un des souvenirs les plus traumatisants de ces dernières années.
Le ministre algérien de la Communication, qui aime à rappeler que sa mission est de rétablir l’image de l’Algérie, devrait réaliser l’impossibilité de la tâche. On ne rétablit pas la respectabilité d’un pays géré dans le déshonneur. Communication n’est pas bavardage.  Quant aux martyrs, ils attendront.
Ils ne se faisaient sans doute aucune illusion sur la piètre mémoire humaine. Peut-être même nous pardonneront-ils nos amnésies, eux qui se sont battus pour un monde libéré et probablement oublieux, oublieux mais libéré, beau, insouciant et qui ne saurait rien de ses soldats indigènes.
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31 Août 2014 Publié par Saoudi Abdelaziz

 

N'y a-t-il vraiment personne pour te relire, Mohamed Benchicou?

 

Par Abdenour Dzanouni, 5 août 2014

(Je m'empresse de mettre en ligne, tardivement, ce texte trouvé par hasard. L'écrivain Abdenour Dzanouni est un ancien journaliste algérois, directeur d'Alger républicain vers 1992-94)
Va défiler Mohamed Benchicou (2) ! Qu’as-tu besoin de te justifier ? À trop vouloir convaincre, tu fais douter de ta cause. Nombreux sont ceux qui aiment ta prose, ton talent de polémiste, ton verbe effilé et ton humour féroce. Mais faut pas abuser le lecteur!
Tu reproches avec quelque justesse au pouvoir algérien d’épouser sans discernement l’opinion du pouvoir français qui trompette que les « indigènes » se sont sacrifiés pour la France,  mais c’est aussitôt pour les faire mourir sous ta plume une troisième fois en claironnant : « ces hommes, dans cette guerre mondiale, sont morts d’abord pour la libération du monde ? Il n’y avait personne, dis-tu,  parmi les gros bras du nationalisme algérien pour préciser que ces martyrs sont allés jusqu’au bout de cette guerre devenue la leur parce que, précisément, elle conduisait à la délivrance des hommes .» Quelle délivrance? De quels hommes ?
La  plupart des historiens officiels, se copiant, ont écrit et répété que la première guerre mondiale a été provoquée par l’attentat d’un étudiant serbe contre l’héritier du trône austro-hongrois et son épouse en visite à Sarajevo. L'attentat lui-même a fait suite à l’envahissement de la Bosnie par l’Autriche-Hongrie, Bosnie que les serbes revendiquent.
En fait, ce n'est qu'un pretexte. Le partage colonial s'étant fait de manière inégale entre les puissances impérialistes, c'est tout trouvé pour en découdre et s'accaparer plus de territoires. L’Europe entière est alors secouée par un mouvement de contestation social et politique massif. Les gouvernements des empires colonialistes britannique, français, allemand, russe… appellent opportunément à la guerre contre  l’ennemi extérieur... pour avoir la paix intérieur.
En France, Jean Jaurès s’y oppose énergiquement en dénonçant la guerre impérialiste où, prévenait-il, les peuples avaient tout à perdre. Jaurès est assassiné. Lénine appelle les soldats russe à déserter et retourner le fusil contre le tsar pour avoir la paix. Il prendra le pouvoir et le métamorphosera. Les alliances impérialistes se cristallisent, les wagons de trains et les soutes de bateaux sont remplis par tout ce que la terre porte de jeunesse indigène et indigente. Dix millions de morts et vingt millions de gueules cassées, de gazés, de manchots et d’estropiés… à la gloire et au profit des appétits impérialistes. Où as-tu dénicher que « ces hommes sont morts d’abord pour la libération du monde » ?
Citons Mohamed Ameur, né en 1894 à Oued el Alleug, près de Blida. Il est enrôlé de force par les gendarmes. Mouni, sa mère, éplorée presse le père d’aller vendre la vache et d’acheter avec cet argent un remplaçant pour son fils. À cette époque la loi coloniale permettait de se faire remplacer en versant une somme convenue à la famille du remplaçant. Le père s’empresse de vendre la vache, verse l’argent au voisin miséreux et court à la caserne avec le jeune loué pour la guerre. Arrivés là, il s’entend dire que son fils est déjà embarqué mais ils retiennent le fils du voisin pour l’envoyer à son tour au front. Le père est revenu désespéré chez lui, appréhendant l’accueil de sa femme quand il lui annoncera que tout est perdu : leur fils Mohamed, le fils des voisins et la vache !
Mohamed est mort à 20 ans, par une méchante journée de février, enterré dans un champ par la canonnière . Son corps ne fut pas retrouvé et n’aura pas de sépulture. « Disparu au combat » dit la fiche. Le gendarme est venu à la porte du gourbi annoncer à la mère que son fils ne reviendra pas. Elle a refusé de le croire. Un devin lui a dit que lorsqu’il lui resterait une seule heure à vivre, elle le verrait arriver au bout du chemin qui mène à sa maison en pisé et au toit de chaume. Et lorsqu’elle senti le grand froid l’envahir par les pieds, elle s’allongea sur une natte près de la porte et demanda à sa fille de la soulever légèrement pour qu’elle puisse voir, au bout du chemin, son fils Mohamed venir… comme le devin l’a prédit. Et elle ferma les yeux pour toujours.
Soufi revint à son village à Bouira les yeux, les muqueuses, la peau et les poumons brûlés par le gaz moutarde. Cet homme était admiré pour sa délicatesse et l’attention qu’il témoignait pour ses voisins, l’amour et le respect qu’il portait à sa femme Fatima et la tendre affection qu’il prodiguait à son fils Rachid. La terrible arme chimique, inaugurée lors de cette guerre, l’a tué à petit feu dans la souffrance indescriptible d’une interminable agonie.
Que te dire de Allal Mahfoud ? Il a été envoyé à la boucherie quand il avait à peine 14 ans. Il eut beau expliqué qu’il n’avait pas été déclaré à  l’Etat civil à la naissance car il "héritait" de celui de son frère décédé, sans être déclaré, six années avant que lui naisse, il fut déclaré apte au combat. Pourtant, il flottait dans son treillis et le fusil à baïonnette, crosse posée à terre, était plus grand que lui. Dans les tranchés, c’était le petit frère. Les grands du régiment le protégeaient, lui interdisaient de monter à l’assaut… Ils avaient pour lui, au moment de partir à l’assaut,  une tape affectueuse,  un mot gentil : « Reste ici, ne bouge pas, on revient tout de suite. » La plupart ne revenait pas. Et lui restait dans la tranchée dans la fureur des bombes et les cris terribles des soldats. Imagine l’horreur pour cet enfant quand cesse le feu pour permettre les secours et qu’il va aider à porter sur ses épaules et traîner les blessés et les morts. Grace à tous ses camarades, il survécu mais il revint les pieds gelés.
Ces hommes, tous ces hommes étaient de chair et de sang ! Ils étaient trois cent mille algériens à être mobilisés de force et envoyés aux abattoirs, vingt mille moururent enterrés par les canons 77mm allemands. La moitié de ceux qui sont revenus étaient des débris humains, morts prématurément dans la misère et la souffrance. Nous pouvions encore les voir, dans les années cinquante, trainer leur carcasse par terre ou sur des béquilles et, eux qui n’avaient pas tiré le bon numéro, vendre des tickets de loterie, inventée pour leur donner un revenu de survie.  Il y a là quelque chose d’indécent à lire : « … ces martyrs sont allés jusqu’au bout de cette guerre devenue la leur parce que, précisément, elle conduisaità la délivrance des hommes ? »
Aucun des Mahfoud, Soufi et Mohamed n'a été  tellement  enthousiaste, comme tu le chantes, à aller à la guerre pour « libérer le monde ». Pour les uns, ils y ont été jetés par la force, pour d’autres, c’est la misère qui les a poussé à gager leur vie et à remplir les calles des navire pour nourrir la mitraille et les gaz funestes. Je te cite un conteur, vecteur d’opinion, en témoin de l’époque : « La première guerre mondiale allait dépeupler les villages, appauvrir les souks et attrister les familles. Le cœur n’était pas à la fête. Les caïds et les gendarmes faisaient la chasse aux conteurs soupçonnés de propager le « défaitisme » en temps de guerre. Les attroupements étaient présumés suspects et très surveillés. Mais cette surveillance était subtilement déjouée par Cheikh Othman. Il  changeait un mot par un autre, comme les « coqs » pour les « lièvres », dans la fable de Loqman et  jetait une lumière crue sur la guerre.
 « La guerre, un jour, éclata entre les aigles et les coqs. Ceux-ci vinrent trouver les renards et leur demandèrent secours et assistance contre les aigles. Mais les renards leur dirent: "Si nous ne vous connaissions pas et si nous ne savions pas quels sont vos adversaires, nous vous aiderions volontiers."
Des murmures et des toussotements entendus parcouraient  l’assistance. Un signal prévenait de l’approche du chaouch. Le conteur changeait de thème à l’arrivée du supplétif du colon… »
Tous ces faits d’histoire, ces petites histoires qui font les grandes, comme tu dis dans un tout autre sens, tu peux les vérifier autour de toi en toute confiance. Nous y reviendrons dans le détail. Mais d’abord, apportons une nuance au sens de ce 14 juillet que tu veux, Mohamed, nous vendre comme la mère de toutes les batailles et pour laquelle l’Algérie et le monde devrait avoir une reconnaissance éternelle.  Cette fête a été adoptée en 1880 pour célébrer deux événements : la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 que tu évoques et le jour de l’union nationale dite la fête des fédérés, réconciliant  le monarque et les parlementaires, datant du 14 juillet 1790, et que tu omets de citer. La signification tronquée que tu donnes de cette date relève donc ou de l’ignorance ou de la mauvaise foi.  Mais peut-être qu’El Hadj Alzheimer s’en est mêlé depuis et dans ce cas tu es absous de tout reproche.
Toutefois, comme tu en fais la base de ton argumentaire, que dis-je la pierre de taille du temple que tu élèves à la gloire du 14 juillet, il suffit qu’elle ne soit pas solide pour que tout s’écroule. Ouf ! Pour un peu, les algériens ne célébreraient plus qu’elle en lieu et place des 5 juillet et 1er novembre qui n’auraient selon toi jamais existé sans ton 14 juillet, absolument cardinal, d’où sont parties, selon toi toujours, toutes les révolutions. Ceci dit tu as le droit de défiler derrière le canon 75, et même de le chevaucher, lui l’unique survivant de la boucherie dont la France anthropophage a célébré  le centenaire. Défile quand tu veux et pour qui tu veux, Mohamed, mais n’oblige personne à le faire et surtout n’insulte pas ceux qui estiment que l’Algérie n’a rien à y glaner. Alors, roulez tambours ! Sonnez trompettes ! Parade toute honte bue! Pendant ce temps, en aparté, je fredonne, la chanson de Georges Brassens :
« Le jour du 14 juillet,
Je reste dans mon lit douillet
La musique qui marche au pas,
Cela ne me regarde pas
Je ne fais pourtant de mal à personne
en n'écoutant pas le clairon qui sonne… »
NOTES
(1) Voilà un siècle, le 28 juin 1914, un jeune nationaliste serbe de Bosnie, Gavrilo Princip, tue l'archiduc François-Ferdinand, héritier du trône austro-hongrois. Celui-ci venait d'envahir la Bosnie, revendiquée par la Serbie. Ce fut le pretexte du déclenchement d'une des guerres les plus meurtrières de tous les temps et des dizaines de millions d'hommes y furent sacrifiés aux intérêts des impérialistes. Ceux-là puisèrent en masse dans la jeunesse des pays colonisés comme en témoigne cette photo de l'embarquement des algériens au port d'Alger. En foule, les jeunes, à peine habillés, sont embarqués dans la soute des navires au large pour être dévorés par la guerre. Quelle famille n'a pas été meurtrie dans sa chair, en Afrique comme ailleurs?
 (2) Cet article répond à celui de Mohamed Benchicou que vous pourrez retrouver à cette adresse: