La République des tortionnaires issue du siècle des lumières

05/07/2014 00:50
 
La République des tortionnaires issue du siècle des lumières
 
 

Dans son livre « La Torture dans la république » , Pierre Vidal Naquet ,en parlant de la France ce pseudo pays des lumières , avait déclaré :« Un pays de tradition libérale peut-il voir en quelques années ses institutions , son armée , sa justice , sa presse , corrodées par la pratique de la torture , par le silence et le mensonge observés autour de questions vitales qui mettent en cause la conception même que l’occident affirme se faire de l’homme ? » (01) En réalité ce n’est ni en quelques années ni depuis 1954 que la soi-disant grandeur de ce pays a commencé à se corroder, mais bel et bien à partir de 1830 , en dépit de toutes les piètres tentatives qui tendaient à mystifier une réalité dont l’imposante tragédie se révélait de manière si irréfragable qu’il fallait pour la nier soit être socio politiquement aux abois , soit avoir l’esprit dérangé par une de ces idéologies biscornues qui faisait germer dans l’esprit de certains débiles illuminés l’idée d’une certaine mission insolite et autre impératif messianique qui consistait à pacifier et à civiliser à coup de croisades et conquêtes des peuples qui se sont avérés infiniment plus nobles et manifestement au-dessus de l’indescriptible ignominie de leurs oppresseurs. Avant que le lobby colonial ne soit formé et ne prenne ses dimensions gargantuesques incontrôlables et ne finisse par tourner en bourrique une métropole avachie au point d’oser fomenter une opération commando aéroportée sur Paris même, uniquement pour maintenir une Algérie française qui n’a à aucun moment été viable. Avant que ces caciques ne perdent la tête au point d’ourdir l’assassinat de leur unique héros, cette grande Zohra qui avait un certain 18 Juin, par un appel pathétique, tenté de préserver ce qui restait de masculinité en eux pendant que les teutons s’apprêtaient à les vassaliser et à épurer ethniquement les autres de la manière la plus inhumaine. Avant toutes ces péripéties déplorables et ce remue ménage franco-français qui sonnaient le glas d’une longue période faites d’iniquités et de terribles fourvoiements, et en revenant assez loin en arrière, on peut constater qu’au premier instant où l’empire colonial a foulé le sol algérien , la barbarie y avait élu domicile. C’est à se demander qui étaient les barbares.

En 1833 une commission d’enquête parlementaire dépêchée par la métropole pour venir s’enquérir en Algérie sur les interminables barbaries gauloises confirma ce qui allait être pendant plus d’un siècle la véritable nature de nos civilisateurs : « Si l’on s’arrête un instant sur la manière dont l’occupation a traité les indigènes , on voit que sa marche a été en contradiction non seulement avec la justice , mais avec la raison. C’est au mépris d’une capitulation solennelle, au mépris des droits les plus simples et les plus naturels des peuples, que nous avons méconnu tous les intérêts, froissé les mœurs, les existences, et nous avons ensuite demandé une soumission franche et entière à des populations qui ne se sont jamais soumises à personne. Nous avons réuni au domaine les biens des fondations pieuses ; nous avons séquestré ceux d’une classe d’habitants que nous avions promis de respecter, nous avons commencé l’exercice de notre puissance par une exaction nous nous sommes emparés des propriétés privées sans indemnité aucune ; et ; de plus, nous nous avons été jusqu’à contraindre des propriétaires, expropriés de cette manière, à payer les frais de démolition de leurs maisons et même d’une mosquée. Nous avons loué des bâtiments du domaine à des tiers ; nous avons reçu d’avance le prix du loyer, et le lendemain, bous avons fait démolir ces bâtiments, sans restitution ni dédommagements. Nous avons profané les temples, les tombeaux, à l’intérieur des maisons, asiles sacrés chez les musulmans. On sait que les nécessités de la guerre sont parfois irrésistibles, mais on devait trouver dans l’application des mesures extrêmes des formes de justice pour masquer tout ce qu’elles ont d’odieux. Nous avons ennoyé au supplice, sur un simple soupçon, et sans procès, des gens dont la culpabilité est toujours restée plus que jamais douteuse ; les héritiers ont été dépouillés. Le gouvernement a fait restituer la fortune, il est vrai mais il n’a pu rendre la vie à un père assassiné. Nous avons massacré des gens porteurs de saufconduits ; égorgé sur un soupçon des populations entières qui se sont ensuite trouvées innocentes ; nous avons mis en jugement des hommes réputés saints du pays, des hommes vénérés, parce qu’ils avaient assez de courage pour venir s’opposer à nos fureurs, afin d’intercéder en faveur de leurs malheureux compatriotes ; il s’est trouvé des juges pour les condamner et des hommes civilisés pour les faire exécuter. Nous avons plongé dans le cachot des chefs de tribus, parce que ces tribus avaient donné asile à nos déserteurs, nous avons décoré la trahison du nom de négociation, qualifié d’actes diplomatiques de honteux guet-apens, en un mot, nous avons débordé en barbarie les barbares que nous venons civiliser et nous nous plaignons de n’avoir pas réussi auprès d’eux. » (02) Voilà en fait une esquisse moins idyllique que la fumeuse allégorie du colonialisme positif. Reconnaissons en l’occurrence que ce qui est décrit par cette commission parlementaire n’était qu’un prélude à ce qui allait perdurer sous le règne des Cavaignac, Saint Arnaud, Pélissier , et plus d’un siècle après avec Bigeard , Massu , Ausaress… Ce mea culpa parmi tant d’autres aurait du balayer tous les scepticismes quant à la véritable nature de cette machine d’asservissement coloniale ainsi que les monstruosités dont elle se prévalait et qui finirent par faire prendre conscience au mouvement national révolutionnaire et au peuple algérien tout entier que l’issue et le dénouement de cette tragédie ne devait désormais être tributaire que de moyens plus appropriés , des moyens autres que la résignation, l’expectative , les réticences et toutes autres formes d’atermoiements. Un empire colonial fraichement sorti de l’âge des ténèbres avait proclamé un 26 Août 1789 (Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen) que : « L’ignorance, l’oubli ou le mépris, sont les seuls causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements. » Et que «Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Par ces évidentes et immémoriales valeurs, ils pensaient naïvement avoir atteint le summum de l’évolution, mais le comble de l’ironie fait que si ces humanistes en herbe avaient réellement assimilé ces concepts qui n’étaient innovants que pour eux , ils auraient dû « ne pas ignoré , ne pas oublié , et ne pas méprisé » , pour finalement se rendre compte que 12 siècles plutôt , en plein désert du Hedjaz, loin de leur panthéon , de leurs cénacles et académies , les aïeux de ces hommes qu’ils voulaient civiliser avaient institué pour toute l’humanité ( une, indivisible, égale, libre et fraternelle), l’intégralité de ses droits fondamentaux et inaliénables. Verdun et Monté Cassino ne sont quand même pas des sites touristiques ou des lieux de villégiatures, mais bel et bien des épopées où des « indigènes » sont bravement partis verser leur sang pour défendre une tyrannie contre un autre tyran dont l’inhumaine mégalomanie aurait dû leur donner à réfléchir. Hélas ce n’était pas assez suffisant pour évoquer en eux cet adage de grand-mère « Garde-toi de faire à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse. » Nous pouvons admettre à la décharge de cette France des lumières que ce ne furent hélas que ces rebuts de l’espèce humaine que leurs frégates royales avaient vomi sur nos côtes (Hères, criminels, prostitués et autres apatrides européens…) et qui se sont cristallisés en ce que les historiens nommèrent le Lobby Colonial qui ont été à l’origine de tous ces malentendus meurtriers , et que c’est justement ce conglomérat de vauriens qui cousait et décousait les parlements , corrompait , qui était hélas à l’origine de tous ces malheurs et ces quiproquos. Néanmoins cela suffirait-il pour absoudre la métropole ? Hélas, on n’arrivera pas à dénicher un interlude où leur volonté de puissance ne constitue pas un affront pour les lois divines et humaines, car qui pourrait être le rédempteur d’une procession de lois scélérates et d’exactions barbares (Sénatus-consulte, Code de l’indigénat, Loi Warnier, Décret Crémieux, Cantonnement, Déportations massives, Enfumades…). En dépit de cette macabre nomenclature, et à la différence de Juifs, nous n’avons ni institué de tribunal de Nuremberg, ni exigé des dédommagements à toute la planète, ni sommé le pape de s’agenouiller à l’esplanade des mosquées, ni essaimé le globe de stèles en commémoration de notre Shoah à nous. 

Ils s’efforcent péniblement et le moins ostensiblement possible de chuchoter de temps à autre des sabirs qui s’apparentent à une forme de repentir officieux et ponctuel pour 130 années de présence honnie. Partout, nous avons mis la main sur ces revenus (Fondations pieuses ayant pour objet de pourvoir aux besoins de la charité et de l’instruction publique) en les détournant en partie de leurs anciens usages. Nous avons réduit les établissements charitables, laisser tomber les écoles, dispersé les séminaires. Autour de nous les lumières se sont éteintes.» Alexis de Tocqueville (1847) Evidemment , on tentera plus tard de persuader tout le monde que ce sont surement les innommables exactions commis par ces partisans de l’eugénisme lors de la deuxième guerre mondiale qui les incitera à utiliser un langage porteur de dispositions plus attentionnées lors de la rédaction de la déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 , en les amenant enfin à considérer que « La Reconnaissance de la dignité humaine à tous les membres de la famille humaine et leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. » (03) Il leur a fallu du temps pour considérer l’humanité comme une seule et même famille , et pourtant ce dogme figurait déjà en 1799 dans un document similaire inspiré à la France suite à la longue violence de ses iniquités sur ses propres sujets , cette même France qui continuera à penser que même parmi ces membres de cette famille humaine , certains peuples n’avaient pas leur place, puisque les Coloniaux se sont toujours comporté avec cette omnipuissance d’apprécier et juger qui de ces peuples asservis présentait les critères pour être admis parmi les « membres de la famille humaine » et qui par contre ne figurait pas dans cette nomenclature. Jommo Kenyatta déclara en 1937 que « l’Africain a été réduit à un état de servitude incompatible avec toute dignité humaine alors que ses institutions ancestrales lui garantissait depuis des siècles une liberté que l’Européen peut difficilement concevoir. » (04) Il me semble que nous nous sommes mépris sur les intentions de l’Occident ; « Les droits naturels , inaliénables et sacrés de l’homme » proclamés depuis 1776 aux Etats-Unis et depuis 1789 en France , seraient alors les seuls motifs qui les ont incité à réduire le reste de la planète à cet état de servitude incompatible avec toute dignité humaine. On nous reprocherait toujours de faire l’amalgame entre d’une part ces trust, ces firmes , ces lobbys , ces confréries secrètes qui ont toujours soit orienté les politiques de leurs Etats , soit agi à l’insu de leurs Etats et de leurs peuples innocents , soit passé outre la volonté de tout le monde, et d’autre part une civilisation , intangible, immatérielle ,abstraite , figée , inanimée dont ils se réclament , celle qui est prônée par les philosophes et les manuels scolaires. Comme il nous arrive à nous aussi de nous offusquer lorsque cet Occident confond Islam et Islamismes et Intégrisme(s) Lorsque le peuple algérien, usé par 130 années d’oppression certifiée , engagea sa lutte de libération , leur sémantique réductrice usant de ces frivolités langagières euphémiques ont vainement tenté de faire de nos libérateurs de vulgaires « Terroristes et de Fellagas», en réduisant cette glorieuse lutte à de simples «Evénements , une simple affaire de police franco-française.Ce n’est qu’en 1999 que l’Assemblée Nationale française parlait enfin de « Guerre d’Algérie » Il aurait fallu plus de soixante années après les crimes de 1945 pour qu’un représentant officiel de la France utilise , en évoquant la tragédie de Sétif ,les vocables de « Massacre » de « Tragédie inexcusable » (05) Quant au Président Nicholas Sarkozy A l’occasion de sa visite en Algérie, en dépit de toutes les attentes, il fut également incapable d’exprimer la repentance de la France envers les Algériens.Invité du journal télévisé de France 3 le 7 décembre 2005, M. Sarkozy, Ministre de l’Intérieur à l’époque, a expliqué « qu'il faut cesser avec la repentance permanente [qui consiste à] revisiter notre histoire. Cette repentance permanente, qui fait qu'il faudrait s'excuser de l'histoire de France, parfois touche aux confins du ridicule » Non satisfaits de leur incapacité à trouver les moyens philosophiques , moraux ou juridiques à même de leur permettre de demander officiellement pardon sans ternir leur grandeur , Les Politiques Français n’hésitent pas néanmoins , et avec un aplomb extraordinaire , de supplanter les Historiens en promulguant leur fameuse Loi du 23 février 2005 relative à leur présence qu’ils ont décidé ,avec une célérité inouïe , de considérer comme positive . (06) Toujours dépassés et trahis par un langage qu’ils ne maitrisent pas dans la mesure où il ne sied guère à la vérité, le Président Chirac est forcé d’abroger par le décret n° 2006-160 du 15 février 2006 ce deuxième alinéa de la discorde et de la honte. Après avoir attendu et espéré vainement un traitement équitable, le parlement algérien décide de proposer une Loi qui enfin rendra justice au peuple algérien et criminalisera ce fugitif colonialisme. L’Hexagone est scandalisé. Et pourtant le statut du Tribunal de Nuremberg procède des mêmes principes, et on s’est même avisé de venir à sa rescousse par la fameuse Loi Gayssot et son article 9 (07) qui vise à qualifier de délit la contestation de l'existence des ces crimes contre l'humanité pré- définis par eux et pour eux . Ainsi la boucle est bouclée : les victimes sont recensées et la Liberté de presse ou d’Opinion qui ne marcheraient pas dans le sens de ces arguties politico juridiques feront l’objet de poursuites judiciaires. Après plusieurs siècles d’oppression suivie d’ une douloureuse décolonisation , l’empire colonial reste fidèle à lui-même et se naturalise en France-Afrique avec toutes les conséquences désastreuses que cela implique jusqu’à aujourd’hui. On veut bien essaimer dans chaque coin du globe et surtout dans l’inconscient de l’humanité un Mémorial de la Shoah , on demande au papes de se prosterner en Israël et confesser la lâche pusillanimité de l’Eglise ,on exige de l’Allemagne de s’ensevelir sous les remords pour ses cinq années de folie mais on ne consent guère à faire son mea-culpa lorsqu’il s’agit de plusieurs siècles de misère humaine. « L’Ethnocentrisme occidental, cette manière unilatérale de regarder l’autre et de le considérer comme inférieur alors qu’il n’est que différent, ou d’ériger son abaissement historique momentané en donnée permanente ou en tare congénitale, a donc longtemps fait l’impasse sur les civilisations non occidentales. S’arrogeant la part du lion dans le développement scientifique et culturel du monde, depuis le miracle grec jusqu’à nos jours, l’Occident eut tendance à réduire tout ce qui n’est pas lui à un destin marginal, éternellement voué à la traine. » (08) Je me permettrai enfin d’ajouter, en rebondissant sur ce pertinent discours du Président A.Bouteflika, que : «Bon sang ne saurait mentir. », mieux encore, leur descendance se bonifie avec l’âge.