LUCETTE HADJ ALI (née LARRIBERE) - ITINÉRAIRE D’UNE MILITANTE ALGÉRIENNE (1945 - 1962)

30/06/2014 03:57

 

LUCETTE HADJ ALI (née LARRIBERE) - ITINÉRAIRE D’UNE MILITANTE ALGÉRIENNE (1945 - 1962)

Dimanche 29 juin 2014

À la demande de nombreux visiteurs du site, et, pour rendre hommage  [1] à Lucette Hadj Ali, socialgerie met en ligne ici de larges extraits de son livre, actuellement introuvable ; "ITINÉRAIRE d’une militante algérienne ( 1945 - 1962) ".

Il s’agit d’une brochure de 130 pages, publiée aux éditions du Tell en 2011, présentée uniquement comme un témoignage : ..."ceci ne peut pas être et ne veut pas être un essai historique ni une autobiographie, ni des mémoires. C’est tout simplement un témoignage..."

De très nombreuses femmes militantes algériennes y sont évoquées : Alice Sportisse, députée communiste d’Oran, Lise Oculi, Abbassia Fodhil, Baya Allaouchiche ou Gaby Gimenez, Eliette Loup, Raymonde Peshard, Jacqueline Guerroudj, les femmes de dockers d’Oran, Myriam Ben, etc.

L’introduction est de Abdelkader Guerroudj, avec deux textes en annexe : "Le fourgon cellulaire" de Kateb Yacine et un texte de Henri Alleg : "L’histoire d’un journal, l’histoire d’un peuple" autour d’“Alger républicain”.

Dès que possible socialgerie mettra aussi en ligne (selon les possibilités techniques) le film d’un entretien avec Lucette Hadj Ali réalisé récemment par Khaled Gallinari.

Au nom de l’idéal

Qui nous faisait combattre

Et qui nous pousse encore

À nous battre aujourd’hui

Jean Ferrat

(Le bilan)

à Pierre et Jean

à Katell, Yann et Laure

à Jeanne

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PRÉFACE

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Des amis de Lucette Hadj Ali m’ont demandé de faire la préface du témoignage qu’elle veut apporter sur sa vie et sa participation à la lutte de notre peuple pour son émancipation.

J’avoue que je suis quelque peu gêné par cette marque de confiance parce que j’ai peur de ne pas être à la hauteur de toutes les questions que soulève son témoignage, de toutes les voies de recherche qu’il suggère.

Lucette Hadj Ali est une des rares combattantes algériennes qui a eu la chance de traverser toute notre guerre de libération sans avoir jamais été arrêtée. Et pourtant ! Je dis bien combattante et je sais de quoi je parle puisque Lucette a fait partie comme moi, et aussi comme son oncle le docteur Camille Larribère, du premier noyau des « Combattants de la libération » (CDL) crée par le Parti Communiste Algérien (PCA) au milieu de l’année 1955 et intégrés au FLN en juillet 1956. En effet, je sais qu’il existe quelques personnes – certaines sont encore en vie – qui ont eu cette chance, durant les sept années de souffrances de notre peuple, de ne pas être inquiétées alors qu’elles ont participé à des actions lourdes qui auraient pu les amener à la torture, à la prison, peut-être même à la mort ou à la disparition par exécution sommaire. A cet égard , et avec la permission de Lucette, je me permettrai de citer un seul cas, particulièrement remarquable : il s’agit de Abdelkader Ben M’barek, aujourd’hui disparu, combattant du FLN dans un des groupes que je commandais ; c’est lui qui, sur mon ordre, a exécuté fin 1956, Gérard Etienne, un des responsables de la « Main Rouge » (organisation terroriste qui a précédé l’OAS), patron d’un cinéma et d’un bar à El Biar. C’est encore Abdelkader Ben M’barek qui a tiré sur le général Massu dans le quartier du Frais Vallon. Son arme s’était enrayée, mais il avait réussi à s’enfuir.

Tout cela pour faire deux remarques : la première c’est qu’il ne suffit pas d’avoir été arrêté ou condamné pour être considéré comme un moudjahed ou même un héros. Ma deuxième remarque c’est que la lutte de notre peuple, comme le suggère à plusieurs reprises Lucette, n’a pas commencé en 1954, que l’indépendance de notre pays a été chèrement acquise et surtout qu’elle a été l’œuvre de tous ses enfants. Et ces enfants qui étaient dans leur immense majorité d’origine musulmane, ont eu souvent pour compagnons, dans les prisons, les lieux de torture ou même au maquis, d’autres Algériens, chrétiens, juifs ou non croyants. Car si, pour la majorité des Algériens musulmans, la participation au combat libérateur était une chose toute naturelle, il faut admettre que pour les Algériens d’origine européenne ou assimilée, les choix n’étaient pas aussi simples ni faciles. C’est pourquoi je dirai à leur propos que leur engagement était d’autant plus méritoire qu’ils étaient minoritaires. Certains personnages sont connus pour leur engagement et leur soutien constant, à la cause algérienne comme le cardinal Duval. D’autres sont des martyrs comme Audin, Maillot, Laban, Iveton et combien d’autres moins connus mais qui mériteraient d’être honorés.

Ce qui frappe aussi dans le témoignage de Lucette Hadj Ali, c’est à la fois le courage, la franchise, la sincérité, la simplicité avec lesquels elle parle, pae exemple, dès les premières lignes de sa prise de conscience tardive du fait colonial, ensuite des erreurs du Parti Communiste Algérien, ou même de choses plus intimes comme la soumission de sa mère ou la sévérité de son père, le docteur Jean-Marie Larribère, pionnier de l’accouchement sans douleur à Oran, nationaliste impénitent et engagé de la première heure, de même que son frère le docteur Camille Larribère, installé à Sig.

Oui, il est long, difficile, dangereux, inhumain le chemin qui mène les hommes et les femmes, les peuples vers le progrès. Nous revivons avec Lucette l’activité militante, l’activité politique, l’activité clandestine, avec ses moments d’angoisse qui se terminent heureusement dans l’allégresse de l’indépendance en juillet 1962.

Lucette Hajj Ali a raison d’insister sur l’action militante des femmes d’Algérie comme Alice Sportisse, députée communiste d’Oran, Lise Oculi, Abbassia Fodhil, Baya Allaouchiche ou Gaby Gimenez et tant d’autres, avant, pendant ou après la Révolution, en particulier dans le combat toujours actuel des femmes pour l’égalité.

Merci Lucette d’avoir parlé d’Henri Alleg, combattant pour l’indépendance de son pays, combien de fois arrêté et torturé, de Jacques Salort, infatigable administrateur d’ « Alger républicain », membre de la direction des CDL, arrêté, torturé avant, pendant et même après la guerre de libération, de Nicolas Zanetacci, maire communiste d’Oran, de René Justrabo, maire communiste de Sidi Bel Abbès, (lieu de garnison de la Légion étrangère) dont les Belabbésiens gardent encore aujourd’hui le souvenir en raison de ce qu’il a fait pour leur ville. Il ya aussi Sadek Hadjerès, dirigeant du PCA jamais arrêté et qui depuis l’exil continue son action militante.

C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai retrouvé les noms de mes amis Abassia et Mustapha Fodil, assassinés dans une clinique d’Oran par un commando de l’OAS et le nom d’Abdelkader Choukhal, jeune journaliste à « Alger républicain », qui après plusieurs actions à Alger, « brûlé » comme on dit, avait rejoint l’ALN avec mon autorisation et est mort au combat en 1957. Et pourquoi ne pas rendre hommage à des hommes comme Pierre Mathieu ou à l’abbé Moreau qui sont quasiment inconnus.

Je ne terminerai pas sans dire quelques mots sur Bachir Hadj Ali dont Lucette parle peu, mais dont on sent la présence à chaque page. Je n’ai pas beaucoup travaillé avec Bachir hadj Ali, mais en tant que militant du PCA depuis 1951 ( promotion Staline), j’estime avoir le droit et le devoir de dire qu’à la veille de novembre 1954, Bachir hadj Ali était, avec Larbi Bouhali et Paul Caballero, l’un des plus estimés parmi les dirigeants du PCA. Il était un humaniste, un poète, un mélomane, ce qui ne l’empêchait d’être un révolutionnaire, au contraire, , parce que cela rendait son engagement plus riche. Contrairement à certains dirigeants politiques prétendument révolutionnaires mais qui n’étaient en fait que des marchands de politique ou de religion, Bachir Hadj Ali était un porteur d’idéal. Il a pu échapper à la prison pendant toute notre guerre de libération mais il l’a connue, de même que les pires tortures, après l’indépendance parce qu’il avait refusé d’accepter le pronunciamiento de juin 1965 dont l’Algérie finira bien un jour de digérer les séquelles.

Il incombe aux générations futures, à notre jeunesse de réaliser ce dont nous avons rêvé mais que nous n’avons pas pu, su accomplir.

Abdelkader Guerroudj 
ancien condamné à mort FLN 
de la guerre d’Algérie

Ci-dessous le lien pour de plus amples renseignements :

www.socialgerie.net/spip.php?article1447

ASSOCIATION ONE TWO THREE VIVA L' ALGERIE / HOMMAGE SAFIA LUCETTE HADJ ALI VEND 19 SEPTBRE 2014 (09)

 

Centre Culturel Algérien, 171 rue de la Croix Nivert 75015 Paris

JEANINE CARAGUEL ET AHMED LASFER (GUITARE), EXTRAIT DE POEMES "MEMOIRE-CLAIRIERE"...

Mémoire-clairière, poèmes, Paris, Les Éditeurs français réunis, 1978 (96 p.).

Lucette Larribère Hadj Ali, une militante de la révolution algérienne, s'en est allée.
Dans "Itinéraire d'une militante algérienne", Lucette avait, avec sa modestie et sa pudeur légendaires, livré une partie de son histoire. Sa prise de conscience du fait colonial, son engagement pour le droit des peuples à la liberté, au développement, à la justice sociale et pour le droit des femmes.
Ses amiEs souhaitent lui rendre hommage pour faire revivre ses engagements, ses idées, ses multiples combats et lui rendre justice en rappelant combien sa volonté, son courage, son intransigeance et son attitude exemplaire pendant les heures sombres de notre histoire les ont marqués.
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Ajoutée le 22 sept. 2014

Centre Culturel Algérien, 171 rue de la Croix Nivert 75015 Paris

ASSOCIATION ONE TWO THREE VIVA L' ALGERIE / HOMMAGE SAFIA LUCETTE HADJ ALI VEND 19 SEPTBRE 2014 (03)

Ajoutée le 22 sept. 2014

Centre Culturel Algérien, 171 rue de la Croix Nivert 75015 Paris

LE FILM "ITINÉRAIRE D'UNE MILITANTE ALGÉRIENNE" DE KHALED GALLINARI

 

Hommage à Lucette Safia Hadj-Ali

Derrière la douceur du sourire, la force de l’engagement

Source : el watan le 23.09.14

L’hommage commence par la projection de l ’ Itinéraire d’une militante algérienne, un entretien filmé avec la militante disparue le 26 mai 2014 à Toulon, réalisé par Khaled Gallinari.

Paris.

De notre correspondante

Ce dernier, dans un message adressé aux organisatrices de l’hommage, souligne que « réaliser un document conséquent sur Lucette Hadj-Ali est une tâche de plus longue haleine, tant le spectre des combats de cette grande dame du mouvement national et communiste algérien est vaste ». « Je pense néanmoins que le contenu, développant la vie et les combats multiformes de Lucette, durant toute sa vie, saura attirer notre intérêt, (luttes anticoloniales, lutte indépendantiste, luttes algériennes après l’indépendance, combats de la femme algérienne, dès les années quarante et jusqu’à son dernier souffle. »
Et il précise que cet entretien « servira prochainement à intégrer Lucette dans un travail plus global sur le mouvement communiste algérien, où elle prendra place parmi ses compagnes et ses compagnons de lutte, dont certains, encore bien vivants, et que j’ai pu rencontrer, mériteraient d’autres moments comme celui-ci ». Dans un message transmis d’Alger, la moudjahida Zoulikha Bekkadour salue « le courage de Lucette et ses sœurs (j’allais dire sa fratrie) et plus particulièrement ses parents pour le dévouement et la générosité qu’ils ont manifestés à l’égard des détenues de la prison civile d’Oran, qui ne recevaient pas le panier quotidien autorisé pendant la détention préventive. Après le départ de ma mère venue nous rendre visite dès notre arrestation début novembre 1956, la famille Larribère a pris le relais en envoyant tous les matins les rations alimentaires qui complétaient largement le contenu des gamelles. Ces nobles gestes ont contribué à sauver la santé physique et surtout morale de toutes les prisonnières. Je remercie à titre posthume la famille Larribère et toutes les personnes qui ont eu le même comportement désintéressé. Enfin et pour finir, je salue la mémoire de notre sœur Lucette qui, à l’instar de toutes nos héroïnes, a donné le meilleur d’elle-même pour que l’Algérie, avec l’indépendance, recouvre sa souveraineté. »
Lalia Ducos, une des organisatrices de la rencontre, évoque les lendemains de l’indépendance nationale, l’ambiance d’« euphorie et de reconstruction du pays » de cette époque. Récit.

Modestie et humilité

« Jamais Lucette et ses amies n’ont mis en avant leur participation qu’on peut qualifier d’héroïque à la libération de notre pays. Elles étaient toutes d’une grande modestie et d’une grande humilité, ce qui, hélas, nous prive aujourd’hui de nombreux témoignages », rappelle Lalia Ducos. « Par sa modestie et son écoute, Lucette fait de chacune et chacun une personne importante, digne d’émettre un avis. C’est dans cet esprit, militante de base à l’UNFA, que j’ai participé au 8 Mars 1965. Voilà un événement essentiel dans le combat des femmes qui devrait être plus évoqué et s’inscrire dans la lutte pour l’égalité des femmes ».
Le 8 Mars 1965 a été déclaré officiellement « Journée de la femme en Algérie », journée chômée, rappelle Lalia. Un meeting officiel est annoncé en présence du président Ben Bella. L’UNFA, ses deux coordinatrices moudjahidate, Akila Abdelmoumène (aujourd’hui
Akila Ouared) et la journaliste Zhor Zerari (décédée en août 2013 ; qu’elle repose en paix), annoncent la commémoration de cette journée sous le thème de l’égalité femme/homme.
« Des milliers de femmes, travailleuses, femmes au foyer, étudiantes, moudjahidate ont défilé du Champ de manœuvre à Bab El Oued, au cinéma Majestic (Atlas), où devait se tenir le meeting du président Ben Bella. D’un bout à l’autre d’Alger, les slogans fusaient en solidarité avec les femmes des pays encore sous domination coloniale, mais aussi pour l’application de la Charte d’Alger pour la femme au travail »…
Le 8 Mars a continué d’être une journée de revendications, malgré toute la force que représentaient les Algériennes, le code de la famille instituant l’infériorité de la femme a été voté en catimini par l’Assemblée nationale en 1984. Lucette n’a jamais failli à ce rendez-vous du 8 Mars pour dénoncer ce code de « l’ infamie ».
« A la suite du coup d’Etat de 1965, des militants et dirigeants du Parti communiste algérien (PCA) et de l’aile gauche du FLN créent l’Organisation de la résistance populaire et de nombreuses manifestations eurent lieu dans de nombreuses villes. La répression ne s’est pas fait attendre. Les dirigeants de l’ORP, Bachir Hadj-Ali, premier secrétaire du PCA, Hocine Zehouane, dirigeant du FLN, Mohamed Harbi furent arrêtés avec d’autres militants. Des centaines d’Algériens furent arrêtés les jours et les semaines qui suivirent le coup d’Etat. Pour discréditer le mouvement de contestation, l’organe du FLN, El Moudjahid, parle de « complot de la main de l’étranger », en mettant en avant les noms de camarades d’origine européenne sans préciser qu’ils étaient Algériens, et pour la plupart militants de la guerre de Libération nationale ».
« … Parmi les détenus figurait une femme, la moudjahida Gilberte Taleb, aujourd’hui Gilberte Sportisse, séquestrée et torturée pendant 20 jours, déjà torturée par le régime de Vichy et le régime colonial, elle fut transférée à la prison d’El Harrach avec les détenues de droit commun et libérée le 1er Novembre 1966. »

Un mélange de force et de douceur

« Lucette s’était chargée d’alerter l’opinion nationale et internationale par des communiqués aux ambassades étrangères et aux agences de presse. Nous nous adressions sans succès aux autorités algériennes. »
« Ce n’est qu’après deux mois de séquestration que les détenus furent transférés à Lambèse pour certains, Bachir Hadj-Ali, Hocine Zahouane, Mohamed Harbi, Boualem Makouf de la JFLN, et à El Harrach pour un grand nombre d’entre eux. »
« … Lucette était réconfortante et apaisante et surtout infatigable : c’est elle qui a sans cesse mobilisé les mères et les femmes des détenus, c’est elle qui a organisé les multiples démarches auprès des différents ministères, c’est elle qui s’est chargé de l’accueil des avocats venus de Paris, de l’organisation de la défense et de la rencontre des avocats avec les familles. »
« Je terminerai par cette anecdote concernant le président Boumediène que j’ai rencontré de façon fortuite dans la forêt de Baïnem ; je lui ai demandé la libération de ces derniers ; il me regarda fixement de ses yeux perçants et me répondit : ‘‘La prochaine fois, c’est vous les femmes qu’on mettra en prison, vous qui n’avez cessé d’alerter la presse internationale’’. »
« ... Lucette, je t’ai vite rapporté cette rencontre, tu as ri de ton rire inimitable, tes yeux brillaient et nous avons su que notre combat de femmes était efficace. »
Mustapha Benallègue évoque la période de la guerre de Libération nationale, la période post-indépendance, la clandestinité, le contexte difficile pour les détenus et leurs familles. Et à Lucette dans chacune de ces périodes et contextes, à Lucette, une « véritable héroïne » « des missions de plus en plus difficiles étaient confiées ».
Fadéla M’Rabet, une figure de la première heure du féminisme algérien, évoque son amie et collègue du lycée Idrissi à travers des anecdotes et des situations vécues dans les premières années de l’indépendance, qui préfiguraient déjà l’intégrisme en milieu scolaire dans Le chat aux yeux d’or, édité par les éditions de l’Aube en 2006. Un livre qu’elle écrit après ses retrouvailles avec Lucette au Salon du livre de Montpellier.
« Lucette a été une des plus belles rencontres de ma vie. Je l’ai revue en 1994 à la création du RAFD Marseille dont elle a été membre fondatrice », témoigne Claudie Médiène dans un texte lu lors de la cérémonie.
« Elle était curieuse de tout avec des rires et des indignations de jeune fille. Avec elle, il n’y avait pas de tabou, on pouvait parler de tout. Lucette ne gardait que l’essentiel parce qu’elle avait longtemps vécu dans la clandestinité. Cette forme d’ascétisme était une leçon pour moi. Elle était toujours dans le présent, elle n’était jamais dans le négatif. » Evoquant une « femme d’exception », Jeanine Caraguel qui a connu le couple Hadj-Ali, accompagnée à la guitare par Ahmed Lasfer, a lu un poème Elle et Lui d’un recueil aujourd’hui introuvable, mémoire clairière de Bachir Hadj-Ali.

Nadjia Bouzeghrane

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 HOMMAGE À LUCETTE À LA FÊTE DE L’HUMA

vendredi 26 septembre 2014, par Sadek Hadjerès

Un hommage a été rendu à LUCETTE HADJ-ALI, le samedi 13 septembre 2014, à la Fête de l’Humanité, à l’initiative d’un collectif de camarades algériens, et avec le soutien de la section PCF de Bagnolet.
Née il y a 94 ans à Oran (Algérie), Lucette Hadj Ali, militante communiste, a vécu et milité en Algérie jusqu’aux années 1990. Elle est décédée le 26 mai 2014, près de Toulon.
Cette rencontre a permis de découvrir les témoignages d’ami(e)s et de compagnons de lutte de Lucette : Sadek HADJERES, dirigeant du PCA pendant et après la guerre d’indépendance et premier secrétaire du PAGS de 1966 à 1990 ; William SPORTISSE, dirigeant du PCA ; Rachida ARABI , enseignante et syndicaliste à la retraite.

Texte de Sadek Hadjerès

Lu par Lounis Mohamed

Le 13 septembre 2014

À la Fête de l’Huma

LUCETTE
À propos de Lucette, plusieurs périodes d’avant et après 1954 me reviennent au cœur et à l’esprit avec intensité. J’évoquerai seulement en priorité la plus importante à mes yeux : celle où nous avons traversé ensemble les 6 années de guerre d’indépendance qui ont suivi l’interdiction du PCA en septembre 55.
Sa participation fut étroite à des postes d’observation et d’action les plus importants. À tel point que j’ai souvent regretté, comme elle aussi, qu’elle n’ait pas pu apporter des témoignages de première main et d’une valeur inestimable à la hauteur de ce qu’elle a connu et traversé.
Certainement plusieurs choses l’en ont sérieusement empêchée : les épreuves subies après l’indépendance par son mari Bachir, suivies par la grave et longue maladie qui a emporté ce dernier.
Puis les conditions dangereuses et pénibles qu’elle a vécues durant la décennie noire 90 en même temps qu’elle militait pour les droits de l’homme et de la femme gravement et quotidiennement violés par les hégémonismes rivaux. Enfin il y a eu, c’est du moins mon avis, l’absence autour d’elle d’un environnement et d’un cadre politique suffisamment sensibilisé à l’importance de ce travail de mémoire.
Quand elle l’a finalement entrepris dans ses dernières années, sur l’insistance de ses amis et malgré ses problèmes de santé, les souvenirs mentionnés dans son petit ouvrage ne représentaient qu’un mince reflet concret, souvent anecdotique, de son riche parcours de courage et d’abnégation.
Au-delà de certaines péripéties de la clandestinité en temps de guerre qui l’ont davantage marquée et qu’elle a racontées, il y manquait son témoignage important et circonstancié sur les problèmes politiques de fond complexes, souvent angoissants, que le PCA avait affrontés et souvent résolus, avec l’apport déterminant de Bachir dans ces multiples épisodes.
Car le grand mérite de cette action clandestine ne fut pas seulement d’avoir déjoué la traque militaire et policière et d’avoir réussi à maintenir la présence sur le terrain ; le plus grand mérite est que cette présence politique des communistes s’est exprimée dans un contenu et une action qui correspondaient vraiment aux intérêts de la nation et de l’idéal social des communistes que les forces hostiles auraient souhaité opposer l’un à l’autre
L’engagement de Lucette en cette période se réalisa d’abord sans interruption dans l’organisation de lutte armée des CDL (Combattants de la Libération) dont la création avait été décidée par le secrétariat du PCA en février de la même année 55, jusqu’à l’intégration des combattants communistes dans l’ALN au milieu de 56.
Puis à partir de juin 1957, la participation de Lucette fut tout aussi étroite à la direction de l’ensemble des luttes et activités politiques du PCA sur le sol national, autour de Bachir Hadj Ali et de moi-même. Nous avions en effet échappé aux multiples arrestations dont furent victimes durant cette première moitié de la guerre les autres dirigeants centraux présents à l’intérieur.
Dans la première période de guerre après 1955, Lucette comme membre du Comité Central, avait été affectée comme son oncle Camille au groupe qui entourait directement le noyau de direction des CDL, composé de Bachir Hadj Ali, de moi-même et de Jacques Salort.
Je dois dire que son passage à la vie clandestine, s’il était préférable pour elle à l’expulsion d’Algérie ou à sa mise dans un camp d’internement ou la prison, lui avait causé un grand déchirement familial.
Son engagement l’avait arrachée à ses deux garçons en bas âge, même si elle savait ces derniers entourés de l’affection vigilante de leur père Robert Manaranche, lui-même cadre militant (il avait entre autres participé auprès de moi à la rédaction et la direction de la revue Progrès en 1953 et 54). Menacé par la répression, il finira par être enfermé dans un camp puis expulsé vers la France.
Lucette subissait cela en serrant les dents comme dans toutes ses lourdes épreuves. Mais il est arrivé maintes fois dans les moments où la tension de guerre se relâchait autour de nous et nous laissait souffler un peu, qu’elle éclatait brusquement en sanglots. Cela lui faisait du bien, peut-être plus que les larmes silencieuses et amères de chacun de nous quand nous pensions à nos familles et aux amis, camarades et compatriotes qui tombaient chaque jour sous les balles ou étaient harassés par les brimades ou brisés par les tortures.
Cependant, une fois passées les alertes, les risques et les tâches épuisantes, elle partait des grands éclats de rire qu’on lui connaissait pour la moindre plaisanterie et le moral recouvrait les préoccupations sombres qu’il lui arrivait exceptionnellement de nous confier.
La réalité est que derrière la femme sensible, il y avait la militante déterminée qu’aucune difficulté, aucune fatigue, aucun risque ou danger ne faisait reculer. Même si après coup elle avouait une peur rétrospective et disait avec soulagement : qu’est-ce que j’ai eu la trouille !
Il est vrai que toutes les tâches qui lui étaient confiées l’exposaient plus que tout autre à un risque permanent, en plus du risque qui nous était commun : tomber sur des rafles ou contrôles d’identité, se trouver piégé dans un local ou un RV déjà tombé sous le contrôle ennemi, etc. Pour elle les tâches de liaison l’exposaient davantage encore.
Ces tâches étaient vitales non seulement pour que la direction assure sa propre subsistance et sécurité, mais pour que ses orientations et ses directives aient un réel impact dans la mobilisation militante et la société. Or ces tâches de liaison que Lucette assumait principalement auprès de nous (après 1960 elle sera aussi secondée par Eliette Loup revenue clandestinement après ses trois ans de détention, ainsi que Lucien Hanoun), ces tâches étaient multipliées dans un environnement hostile, imprévisible, alors que par sécurité elles ne pouvaient pas être confiées à un trop grand nombre de personnes.
L’exemple le plus typique est celui de la préparation de l’opération Maillot et ses prolongements. Lucette a assumé ainsi que Myriam Ben (Marilyse Benhaïm) une grande partie des liaisons nécessaires à une coordination minutieuse et précise entre les groupes d’acteurs souvent cloisonnés entre eux.
Dans ses tâches entrait aussi une incessante prospection des moyens logistiques tels que locaux de refuges ou de rencontre, véhicules, soutiens financiers, tout en respectant le maximum de discrétion et de cloisonnements. Une de ses réussites est d’avoir procuré sous sa couverture à Bachir pendant deux ans l’utilisation d’un appartement en plein centre d’Alger, loué à son insu par la parente huppée d’un important magistrat français raciste chargé de réprimer le FLN et les communistes, parente qui sans savoir de quoi il retournait, habitait le même immeuble. Il faut dire que l’utilisation de ce local nécessitait plus que d’autres une minutie extrême et nous a occasionné de nombreuses sueurs froides et manœuvres de vérification avant d’autres solutions de rechange (plus facile à dire qu’à trouver).
Entre autres, Lucette supervisait aussi les activités de solidarité financière et juridique envers les familles lourdement frappées par la répression, des familles qui étaient la plupart difficiles à joindre étant donné qu’elles étaient « marquées » aux yeux des services colonialistes.
Lucette le faisait entre autres à travers une camarade courageuse et astucieuse, Djamila Briki. Cette dernière était la femme d’un condamné à mort membre des CDL-ALN (Yahia Briki, ancien d’Alger-rep) , c’est à travers elle que se faisait le contact avec Josette Audin depuis l’arrestation et l’assassinat de son mari Maurice.
Parmi les autres activités très accaparantes de Lucette, il y avait la frappe et l’acheminement de documents confidentiels tels que la correspondance avec nos camarades à l’étranger, les documents en cours d’élaboration et parfois aussi la frappe et le tirage de documents destinés à la propagande du parti quand les camarades habituellement chargés n’étaient pas disponibles.
Il ne faut pas croire que les tâches de Lucette s’arrêtaient à ces aspects pratiques (y compris l’entretien domestique dont nous nous occupions tous par nécessité).
Elle était pleinement associée à la réflexion sur les décisions opérationnelles à prendre, aux tâches de discussion et d’élaboration politique et idéologique, par exemple écrire un article ou une étude.
Il fallait dans certains cas insister pour qu’elle s’y consacre : non par mauvaise volonté mais soit par scrupule de délaisser certaines tâches pratiques pressantes à ses yeux, soit par sous-estimation de ses capacités. En fait le résultat, mis en discussion et adopté, démentait ses craintes.
Nombre de ses écrits, en plus de tracts, ont figuré même non signés, dans nos publications clandestines : « El-Hourriya-Liberté » ou la revue « Réalités Algériennes et Marxisme ».
À son avantage, on dira que pour elle aussi l’esprit de parti ne se confondait pas avec beni-oui-ouisme ou suivisme automatique envers les orientations « officielles » ou dominantes. Elle avait et défendait ses opinions.
Quelquefois, quand notamment des évènements ou comportements suscitaient son indignation, la passion et la subjectivité prenaient chez elle des tonalités de rigidité, au moins temporaire, qui nous rappelaient certains traits sous lesquels s’exprimait la fermeté de son père Jean Marie ou son oncle (elle nous expliquait en riant et avec un peu de dépit comment enfant elle cachait sous sn oreiller les romans policiers que son père lui interdisait strictement).
Mais Lucette ne cédait pas aux entêtements, elle tenait aussi de la douceur de sa mère, elle savait écouter et prendre de la distance, elle était ouverte aux conclusions des analyses politiques auxquelles elle était associée et les enrichissait souvent de remarques pertinentes.
Au total, si je devais résumer comment j’ai perçu Lucette durant la guerre d’indépendance, je dirais un seul mot : abnégation.
Face à la dureté de la guerre, plus dure encore pour les communistes soumis également aux pressions de certains secteurs nationalistes, cette abnégation a mis à plusieurs reprises Lucette au bord de l’épuisement total.
Bachir était encore plus tendu, au point qu’en août 1961, on décida de les mettre au vert pour quelques jours dans une petite ferme des environs de Ain Taya.
J’étais venu les y voir en urgence pour une décision à prendre concernant Benzine menacé de mort au bagne de Boghari, d’après un message qui venait de me parvenir.
À ce moment, l’OAS démarrait de plus belle avec ses émissions pirates et l’assassinat du vieux père Duclerc, camarade syndicaliste du Ruisseau. Dans l’oasis inattendue que constituait la petite ferme au milieu de l’enfer, j’étais heureux de constater que Lucette et Bachir arrivaient à se détendre avant de reprendre le combat.
En y repensant je me dis : quel malheur que l’indépendance pour laquelle ils avaient tant combattu et espéré, n’ait pas répondu à la plénitude de leurs espérances, pour eux comme pour notre société.

Sadek Hadjerès,

le 9 septembre 2014,

destiné à Lounis Mohamed

pour hommage à Lucette à la fête de l’Huma

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ASSOCIATION ONE TWO THREE VIVA L' ALGERIE / HOMMAGE SAFIA LUCETTE HADJ ALI VEND 19 SEPTBRE 2014 (09)

 

Centre Culturel Algérien, 171 rue de la Croix Nivert 75015 Paris

JEANINE CARAGUEL ET AHMED LASFER (GUITARE), EXTRAIT DE POEMES "MEMOIRE-CLAIRIERE"...

Mémoire-clairière, poèmes, Paris, Les Éditeurs français réunis, 1978 (96 p.).

Lucette Larribère Hadj Ali, une militante de la révolution algérienne, s'en est allée.
Dans "Itinéraire d'une militante algérienne", Lucette avait, avec sa modestie et sa pudeur légendaires, livré une partie de son histoire. Sa prise de conscience du fait colonial, son engagement pour le droit des peuples à la liberté, au développement, à la justice sociale et pour le droit des femmes.
Ses amies souhaitent lui rendre hommage pour faire revivre ses engagements, ses idées, ses multiples combats et lui rendre justice en rappelant combien sa volonté, son courage, son intransigeance et son attitude exemplaire pendant les heures sombres de notre histoire les ont marqués.
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HOMMAGE À LUCETTE SAFIA LARRIBÈRE HADJ ALI

 

Vendredi 19 septembre 2014 à 18H30-  

Hommage donnera lieu à la projection du film "Lucette parle de son itinéraire", suivie de témoignages des proches, des amis et de la famille sur le parcours de la moudjahida, avec la participation de William SPORTISSE, Mustapha BENNALEGUE, Lalia DUCOS, Zazi SADOU, Malika REMAOUN, Claudie Mediene et un membre de la famille. L'hommage se poursuivra en poésie et en musique par Jeanine Caraguel et Ahmed Lasfer.
Lucette Safia Larribere Hadj Ali, l' " Itinéraire d'une militante algérienne"
Lucette Safia Larribère Hadj Ali est née le 9 décembre 1920 à Oran. Elle est issue d’une famille de socialistes et communistes notoires de la région. Originaire de la région catalane, Pierre, son grand père, est arrivé en Oranie en 1898. En décembre 1907, il fonde le premier quotidien « national » d’Algérie, La Lutte Sociale, et fut l’un des fondateurs du PCA dans la région. Le père de Lucette, Jean-Marie, a été le pionnier de l’accouchement sans douleur en Algérie. Il en avait appris l’existence en URSS. Il fut un combattant de la cause nationale.
« Il a également donné ses cinq filles à la révolution », comme aimait à le rappeler et le raconter Tayeb Malki, un autre militant connu de la région qui fut son camarade. Une rue importante du centre d’Oran porte aujourd’hui son nom. Camille, l'oncle de Lucette, était un communiste engagé en France et en Algérie. Il est membre fondateur et dirigeant du PCF dès 1920 et du PCA dès 1934. Il a combattu à Verdun, participé à la résistance, aux combats anticolonialistes et syndicaux de l’Oranie et à la guerre d’indépendance de bout en bout. Voilà une hérédité qui mérite un fort volume pour évaluer son apport aux combats pour la dignité et la libération nationale algérienne. Dans cette famille illustre par son combat anticolonialiste, pour le progrès et la justice sociale, Lucette réussira à tracer sa propre voie aussi bien dans la lutte pour l’indépendance nationale, que pour le progrès social et l’égalité femmes / hommes.
Après l’obtention de sa licence, Lucette arrête ses études en juillet 1942, suite aux bombardements italiens qui ont succédé au débarquement de novembre 1942. Elle est engagée dans l’agence France-Presse où elle rencontre un certain Henri Alleg. Puis, elle devient rédactrice à Liberté, l’organe du PCA, en 1943. Elle adhère au PCA à l’été 1945. Elle retrouvera bon nombre de ses amies au sein de l'Union des femmes d'Algérie (UFA) et dans les combats quotidiens. Indignée par le statut inférieur des femmes, elle s’engage dans les luttes de terrain et se voit rapidement confier des postes de responsabilité, notamment dans le mouvement de masse féminin. Elle devient une animatrice infatigable de l’Union des femmes d'Algérie avec Gaby Gimenez, Baya Bouhoune, Lisette Vincent, Yvonne Saillent, Renée Justrabo, Abbassia Foudil, Lise Oculi, Alice Sportisse, Joséphine Carmona et tant d’autres. Elles mettent des milliers d'Algériennes dans la rue pour les revendications sociales puis très vite politiques et nationales. Elles sont les héroïnes de cette fameuse grève de 1949 à Oran lorsque les dockers algériens, les premiers au monde, font grève pour soutenir la lutte des Vietnamiens en refusant de charger les armes et en bloquant les navires militaires français. Les grévistes sont chargés par les policiers et les CRS pendant que les « jaunes » sont recrutés par les armateurs pour casser la grève. Là, les femmes des dockers et les militantes de l’UFA, remarquables de courage, font face aux charges et aux coups de feu qui blessent quelques grévistes. Elles défendent leurs maris grévistes de manière déterminée, le pavé à la main, en criant des slogans communistes et nationalistes.
Lucette, avec son bagage universitaire, est sollicitée pour entrer dans la prestigieuse équipe de jour d’Alger républicain. Dès le début des années 50, ce quotidien va être porté par une équipe de militants syndicaux et communistes. Il dénonce les autorités coloniales et les grands trusts coloniaux et participe de manière cruciale à l'unification des forces nationales de progrès. Alger Républicain sera le quotidien de la révolution nationale jusqu’à son interdiction fin 1955.
Les combats pour les femmes exploitées à Alger la mettent en contact avec son amie Blanche Moine, une autre militante infatigable qui combattra héroïquement durant la guerre d’Algérie. Elle est également proche de l’Association des femmes musulmanes algériennes (AFMA) avec laquelle elle organise nombre de manifestations. Elle y côtoie notamment Mamia Chentouf et Nafissa Hamoud. En Avril 1952, elle organise avec le PCA une manifestation face à Serkadji pour soutenir les militants de l’OS. Les flics accourent, bastonnent et arrêtent nombre de militants et se jettent sur les enfants qui ont envahi la place. Lucette, en veste rouge, se lance alors pour protéger les enfants. Elle est arrêtée et interpellée avec brutalité. Kateb Yacine, qui participe à la manifestation, écrira plus tard le poème Fourgon cellulaire  évoquant « Lucie et sa veste rouge ».
En septembre 1955, René Justrabo alors maire de Sidi Bel Abbès, l'informe de la dissolution de sa propre mairie communiste, ainsi que de la dissolution du PCA et d’Alger Républicain. Lucette alerte Jacques Salort. Henri Alleg avait été arrêté avant que les flics ne débarquent au siège du journal et évacuent tout le monde sans ménagement. Elle poursuit alors logiquement son engagement direct au service de la lutte armée et notamment dans l’appareil de direction et de coordination des Combattants de la libération (CDL) avec Sadek Hadjerès, Bachir Hadj-Ali, Camille Larribère et Jacques Salort. Ce combat clandestin permet à Safia, son nom de moudjahida, d’apporter une contribution précieuse, au prix de lourds sacrifices personnels et familiaux, à la lutte de libération nationale. A l’été 56, avec ses sœurs Paulette et Aline, elle coordonne les CDL à Oran. Celles-ci sont arrêtées avec d'autres militants. Sous la torture, elles ne parlent pas . Lucette, avertie par son père, échappe à l’arrestation et continue son travail au sein de la direction clandestine, notamment dans le codage des correspondances du parti avec Larbi Bouhali et la délégation extérieure du PCA.
Sadek Hadjerès, dirigeant clandestin avec Bachir Hadj Ali, du PCA et des CDL à l’époque, rapporte : « Après l’intégration des CDL dans l’ALN-FLN, sa contribution politique et pratique aux activités autonomes et unitaires du PCA fut tout aussi précieuse au niveau de la direction, alors que celle-ci poursuivait son activité clandestine sur le sol national malgré le féroce quadrillage colonialiste. »
Lucette cite avec une intense émotion les noms marquants et héroïques des CDL, Yveton, Maillot, Guerroudj, Briki, Peschard, Ghenassia, Farrugia et d'autres.
Le combat de Lucette ne s'arrête pas au lendemain de l'indépendance, il se poursuivra pour le progrès social et les droits des femmes. Elle reprend sa fonction d'enseignante en Histoire et Géographie au lycée El-Idrissi de 1962 à 1975. De 1975 à 1977, elle participe au sein de l'Institut pédagogique national à la confection des manuels destinés à l'enseignement de la géographie, ensuite elle reprend son poste d'enseignante de Français au lycée El-Idrissi. De 1978 à 1981, elle est détachée à l'université de Bab-Ezzouar où elle contribue aux activités de l'Institut des Sciences de la Terre.
Des épreuves particulièrement douloureuses l'attendent en 1965 suite au coup d'État et la répression menée par le pouvoir en place et le parti unique. Epouse de Bachir Hadj Ali, sa contribution a été inestimable. Elle a maintenu la liaison politique et pratique avec les dirigeants du PCA et du FLN emprisonnés avec son mari Bachir Hadj Ali, premier secrétaire du PCA. Lucette militera aux côtés de toutes les familles dont les proches subissaient la répression du pouvoir en place. Elle aura une correspondance très suivie avec Bachir qu'elle publiera plus tard sous le titre Lettres à Lucette. Nous lui devons en particulier de nous avoir transmis, en les sortant clandestinement des lieux de détention de Bachir Hadj Ali, les textes de L’arbitraire et desChants de septembre ainsi que les échanges épistolaires qui ont précédé la décision de fondation du Parti de l'avant-garde socialiste (PAGS) en janvier 1966. Aux côtés de Bachir Hadj Ali, Lucette militera naturellement au PAGS. Son engagement est total. Sans aucun ménagement pour sa santé. On ne peut oublier toute sa sollicitude et les efforts qu'elle a prodigués pour soutenir Bachir Hadj Ali pendant sa maladie et jusqu'à sa disparition.
C'est tout naturellement qu'elle se retrouve également dans les luttes des femmes pour l'égalité dénonçant le code de la Famille qui institue l'infériorité des femmes. Elle sera de toutes les manifestations de rue. Elle manifestera encore avec les démocrates lorsque les islamistes tentent d'imposer leur diktat et de mettre en danger l'A1gérie.
En 1990, elle reviendra pendant un moment au journal Alger républicain afin de participer à sa rédaction et au secrétariat de la direction. Elle y épaulera les jeunes journalistes et appuiera la ligne résolument anti-intégriste du quotidien et son soutien aux droits des femmes.
Lucette quitte l’Algérie, la mort dans l’âme. Il a fallu toute la force de persuasion de ses camarades pour décider celle qui ne redoutait rien, à s’éloigner de sa terre natale. Elle a trouvé refuge auprès de ses enfants à Marseille. Fidèle à ses engagements, elle crée à Marseille le Rassemblement algérien des femmes démocrates ( RAFD) qui relaie les luttes des Algériennes contre le terrorisme intégriste. Elle n'aura de cesse de retourner en Algérie, elle le fera jusqu’à ce que son état de santé ne lui permette plus de se déplacer. A Alger, Oran, Marseille et Paris, sa révolte contre le code de la famille et contre toutes les injustices résonne encore.
Sa vie a été bien remplie. Tous ceux qui l'ont connue et qui ont milité à ses côtés gardent d'elle le souvenir d'une femme engagée pour les intérêts des couches les plus déshéritées, assoiffées de justice sociale, de dignité, de liberté.
Abed Ghali
« Pour Lucette » par les Amies de Lucette

 

LE FILM "ITINÉRAIRE D'UNE MILITANTE ALGÉRIENNE" DE KHALED GALLINARI