Mouloud ACHOUR / ROMAN / Jours de tourments / Jours de tourments

06/07/2014 00:31

 

       Mouloud Achour                                                                                  

Biographie de Mouloud Achour    

Mouloud Achour, né le 19 mars 1944 à Tamazirt (Tizi Ouzou)1,2, est un professeur3, journaliste (notamment à El Moudjahid, Algérie Hebdo et Liberté4), et écrivain algérien d'expression française, auteur notamment de nouvelles et de récits.

Il a aussi été membre puis président de la commission de lecture à la télévision nationale5, secrétaire permanent du Conseil national de la culture en 1990 et 1991 puis directeur du cabinet du ministre de la communication en 1991 et 19926.

Il est directeur éditorial de la maison d'édition Casbah à Alger, et a été responsable du domaine « Livre » lors de l'année de l'Algérie en France en 20034.

Bibliographie :

1971 : Le Survivant et autres nouvelles, Alger, SNED, 306 p.

1973 : Héliotropes, Alger, SNED, 197 p.

1975 : Les Dernières Vendanges, Alger, SNED, 225 p.

1983 : Jours de tourments, Alger, ENAL, 137 p.

1989 : Farès Boukhatem : Rétrospective (préf. Malika Bouabdellah), Alger, Musée national des beaux-arts d'Alger

1996 : À perte de mots, L'Harmattan, coll. « Écritures arabes », 123 p. (ISBN 2-7384-4824-0) [présentation en ligne]

2003 : Algériens-Français : Bientôt finis les enfantillages ?, avec Guy Hennebelle et Nourredine Saadi, Condé-sur-Noireau, Charles Corlet, coll. « La Revue » (no 62), 303 p. (ISBN 2-84706-032-4) [présentation en ligne]

2004 : Le Vent du nord, Alger, Casbah, 207 p. (ISBN 9961-64-230-9)

2005 : Juste derrière l'horizon, Alger, Casbah, 175 p. (ISBN 9961-64-565-0)

2011 : Le Retour au silence, Alger, Casbah, 205 p.

 _______________________________________________________________________________________________________________________________

 
Jours de tourments
 
Entreprise Nationale du Livre
3, boulevard Zirout Youcef
Alger
N° Edition 916 / 81, Alger, 1983
 
_______________________________________________________________________________________________________________________________
 
TABLES DES MATIÉRES
                                                              
                                                             
                                                                ---   Jours de tourments     
                                                                ---   Des feux sur la colline                                                               
                                                                ---   Le poète aux abonnés absents : 1er parcours                                                               
                                                                ---   Le poète aux abonnés absents : 2è  parcours                                                              
                                                                ---   Le poète aux abonnés absents : 3è  parcours
 
________________________________________________________________________________________________________________________________
 
FANTASME... 
 
Jamais peut-être n'a existé ailleurs qu'en moi-même cet épisode de ma vie, dominé par l'image, à présent si confuse mais terriblement présente, de Dahéla.
 
Dahéla, prénom étrange...
 
Elle pourrait n'être --- en serais-je autrement surpris ? --- que la créature sans âme, l'être désincarné, délivré par une imagination en perpétuelle quête de figures romanesques, d'aventures qui pourraient tout au moins paraître plausibles sinon vraies. N'est-ce pas notre lot, à nous inventeurs de réel, d'opérer ainsi des retraites salutaires vers un monde remodelé par nous et pour nous ! Je connais des poètes ainsi hantés par un être qui leur doit son existence et auquel ils doivent leur génie. Ils deviennent inséparables, se nuisent mutuellement mais demeurent condamnés à se supporter... Mais ceci est sans doute une autre histoire.
 
Des lambeaux de phrases et les intonations profondes de la voix qui les prononçat n'auront été que des impressions plaquées après coup par l"inconscient: le subterfuge ingénieux d'un esprit désireux d'accréditer, dans une puérile poussée de scrupule, les séquences inventées d'un film intérieur. Et il arrive qu'un rêve prétende assez à la réalité pour finir par s'y fondre. Pour l'instant, en un tout indissociable, obsédant, douloureux, le souvenir force les escarpements de l'inconscient. Fruits oniriques ou tranches de vie, les visions refoulées sont prêtes à fuser dans un fol élan de libération. Pourvu que meure définitivement le passé, cessent le charme et la névrose.
 
—   0   —
 
Pas facile de démêler tout ça ! Faudrait ouvrir, inventorier minutieusement, classer, jeter tout l'inutile; bien rincer le reste et remettre en place après avoir tout étiqueté soigneusement. Trop difficile et jamais, de toute façon, les choses ne reviendront ce qu'elles étaient. Et finalement cela ne vaut même pas la peine, car, après tout, le dilemme réintègrerait très vite ses dimensions, demeurerait intact le sortilège surpassant... Quel que soit l'exorcisme.
 
En attendant, elle me parle. Un langage que je ne comprend pas, halo de sons qui m'entourent sans me pénétrer, musique à peine caressante. Je l'écoute tout de même, craignant de déplaire. Je lis dans ses yeux ce qu'elle ne dit pas, tout ce qu'elle masque et nous sépare, la somme de petites névroses qui compose la barricade entre nous dressée. Nous étions ainsi faits que rien ne pouvait nous être commun, d'où vient que nous soyons insécables ? Si elle se livrait, sans dire, rien que du fond de cette pupille-brasier, de l'oeil-fournaise désespéré ? L'appel insidieux inachevé, s'éteignant dans le mot qui me tient à distance. Impossible. Soleil refusé depuis si longtemps consumé, froid. Jamais je n'aurais pu être ce qu'elle exigeait que je fusse. Inapte à cette résignation qui la confinait, elle, dans le rôle de la source emplissant d'autres voies, niant celles qui la créent.
 
Au verso de moi-même, il y a ce qui m'a fait, tout ce qui me lie, le fil puissant, défiant les siècles, y compris celui-ci. Elle participait aussi aux sèves immémoriales mais, déjà avant l'incommensurable tromperie, elle avait haché les fibres du lien ombilical, une à une. Un fil déjà tant élimé, malgré les siècles aux décennies toutes morsures rongeante, malgré celui-ci. Elle est là, au coeur de moi, mais hors tout de même  — comment fait-elle ?
 
La suivre, m'enfoncer en elle, m'égarer puis m'effacer en elle jusqu'à renaître, autre. Le chemin devant est voie de lumière mais il fait peur qu'elle regarde avec assurance qui n'est pas mienne. ( Présent et passé confondus, début d'exorcisme, conjuration. Que vienne ensuite le refus viscéral. Qu'importe ! ).
 
Le reste tient du délire. Son langage, caresse insinuante... Puis tout commence, l'exil, même temporaire, une irresistible griserie semée de soleil. La voix se fait mélodie; les mots clairs; chocs sans fin fond du cerveau et silence. La fusion supprême dans les prunelles-brasier, tombeau puis incandescence de milieu du jour. A refaire.
 
—   0   —
 
Il y avait la femme aux cheveux fous par le vent. La femme aux seins lourdes de broches incrustées sur la poitrine. Le foulard avant fui, perdu ses couleurs, flottant au vent, loin. Les bras, larges refuge béant, n'attendaient plus et le souffle emportait la moitié des mots comme ses plaintes déformaient l'autre, lui donnaient un sens nouveau, corrompu mais parfois si harmonieux tout compte fait. Chute de syllabes inutiles. 
 
Tout le temps que je regarde en arrière, la silouhette large ouverte, toute de commisération. Et plane l'appel des lentisques et du romarin. C'est si près. Ce le serait tant  encore si mes pas n'étaient si puissamment tournés en avant. Ce le serait tant encore si tant d'arbres-cadavres sans tête ne jonchaient le sol jusqu'à mes pieds nus au refus solide. Par instants devient voix multiples aux sons étranges et familiers l'appel-choeur s'élevant jusqu'au ciel et me retombe en averse-mitraille.
 
Au verso devenu muet, les montagnes n'existent qu'en moi, frange grise éplorée coiffée de blanc et s'y découpe la femme noire dont je sens le moindre trait du visage. Ma mère aux broches d'argent sous corail dénonçant la haie noire tissée une nuit d'hiver et tant de nuits depuis, jusqu'à la dernière, ma mère en attente de moi et déjà désespérée. Elle s'effaçant, moi au retour impossible, indésiré. Il y a si loin de toi à moi désormais à mes pieds ensanglantés entament le noir, malgré l'effort et le recul opiniâtre, vain. Mon visage seul et mes yeux intérieurs y reviennent, défiant les âges et la kyrielle des mots--pièges, défiant la vérité.
 
Contrainte de regarder en avant. Des poings pèsent sur mon menton et ma tempe; poussée douce et ferme. Tu entendras ces palpitations et, déchirure, tu appeleras en vain. En vain je maudirai l'outrage sans nom.
 
La femme aux pieds nus; aux cheveux jetés aux nues par la tempête; aux traits creusés par la passion; elle était plantée en moi. Je revoyais l'accumulation d'arbres déracinés, des cadavres, des têtes amoncelées aux yeux ouverts restés tels sur une dernière vision de défaite séculaire.
 
Calcinée la moisson de tant d'étés et assèché le puits de sang. Mon sang aspergeant scabreux vers le noir qu'on dit lumière...
 
Ma fille-éouse-soeur-mère, jamais je neperdrai. La traversée d'obscurités plurielles et de clair-obscurs plus noir encore que tous les précédents n'est pas reniement mais chemin de tourments et long détour vers toi. Seule.
 
— 0 —
 
Le sourire-étincelle lui frayant passage, elle m'arriva, fondit sur moi, élu d'elle  —  savais-je pourquoi ?    un soir où je n'étais plus tout à fait moi. Ses premiers sons furent caresse démentant son regard. Elle arriva, réclamant consommation et élan de folie. Bruit.
 
Le sang fut traître et la nuit possèda le reste. Tout le jour qui suivit fît fête et prit deuil tour à tour. Les nues vocifèrant qu'elle n'entendit pas dissimulaient à mon oreille l'hymne floral. Le vent déchirait sa robe et soulevait en flots coléreux sa chevelure fouettant mes joues et m'aveuglant au point où...
 
Le reste, parfum pénétrant. Les nuits ataviques et voceros n'y firent. Je n'étais plus. Et le temps passa jusqu'au cri déchirant mes entrailles, aux plaies ouvertes en mes flancs.
 
L'éveil pour la mort. Et mon dernier sang fuyant jusqu'à L'ANÉANTISSEMENT.
 
— 0 —
 
RETOMBÉE...
 
Une lumière de fin du jour et beaucoup de mélancolie sur la place. Un parfum pénétrant : les effluves marins racontés par la première brise. L-atmosphère d'une ville qui se meurt de silence et de solitude après l'épreuve du feu. Ici, la Méditerranée ne peut rien quoi que prétende le cours de géographie qui parle d'influence modératrice. Les arbres de la place remuent, soulagés, et se hâtent, tout autour, les dernières voitures. Il y a peu de temps a disparu la foule d'ouvriers fatigués; les baraquements que l'on ma fait visiter non sans fierté, tantôt, ont fait leur plein d'âmes essoufflées, de corps recrus de fatidue. Ceux-là ont préféré au pauvre menu sur ticket d'un sordide restaurant conventionné par les entreprises, la marmite collective deragoût qui recrée l'illusion de la famille et raconte une vie troquée pour l'exil. D'entre eux,les autochtones sont certainements dans les bars et leur bruit ne parviennent  pas ici. Des bars où le graçon appelé arrive trainant une caisse de bière tiède qu'il glisse sous la table, sans mot dire; où l'on boit; où l'on se bat; où certains boivent seuls, plongés en eux-mêmes dans la tragique remontée d'épisodes sans retour; où se perdent derniers sous et dernières illusions  —  parfois.
 
Lumière de lampadaire filtrée par une chlorophylle récalcitrante. La nuit arrive et la brise apporte encore une vague odeur de goémont et d'ailleurs. L'enseigne de la mairie oppose sa fixité au clignotement inutile d'un hôtel au nom désuet, porteur d'une mauvaise nostalgie. Il y a temps de nouvelles enseignes à fabriquer; celles-là ont traversé l'histoire, demeurent comme un défi au présent, une insulte.
 
Fatigue des pérégrinations à travers la ville et ses environs; jusque dans les exploitations agricoles de la région, et le souvenir tenace de ce stade cimetière, rançon payée pour que boire ne soit pas défi ni délit, sortir de la ville soit expresse de liberté et s'assoir sur un banc de cette même place ne soit pas atteinte à l'ordre public. Fatigue et avant-goût exécrable à l'idée de regagner cette chambre d'hôtel porteuse de milles présences et du même relent irrespirable qui, dans tous les établissements de ce genre et de cette classe dans le monde entier, défie le besoin d'y implanter sa vie.
 
Que faire dans cette ville où mon travail, toute journée, a consisté à exhumer des tranches d'héroÏsme ? Demain je poursuivrai la même quête, et d'autres rescapés de la grande tourmente me parleront de beaucoup de ceux qui demeurent à présent noms de rues ou de quartiers, entrés dans le vocabulaire pour ne pas trop tôt quitter les mémoires. Ce matin, le chef de la municipalité, occupé à célébrer un mariage, a tenu à me recevoir au milieu de la cérémonie pour m'affubler impromptu du titre de témoin d'honneur. Et l'image a ressurgi, se superposant au visage timide de l'adolescente que son père a dispensée du soin de pronocer le consentement de rigueur en pareille circontance. 
 
 
 
 
 
 
 
 
________________________________________________________________________________________________________________________________