Mouloud FERAOUN / Roman /La Terre et le Sang

05/07/2014 18:06

 

 
La Terre et Le Sang

-  ROMAN  -

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Au dos de la couverture
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L' histoire qui va suivre a été réellement vécue dans un coin de Kabylie desservi par une route, ayant une école minuscule, une mosquée blanche, visible de loin, et plusieurs maisons surmontées d'un étage.
On admettra sans doute qu'un cadre et ordinaire ne soit le témoin que de banales existences car les principaux personnages dont sera retaltée n'ont rien d'exceptionnel. ( Le lecteur doit en être tout de suite averti ). Tout au plus, pourrait-on s'étonner que l'un d'entre eux soit une parisienne. Comment supposer, en effet, qu'à Ighil - Nezman, puisse vivre cloîtrée une Française de Paris ?. 
( ... ) C'est ainsi que débarqua, par un paprès - midi de printemps, la parisienne qui mit en émoi tout le village.( ... ) La belle dame leur souriait comme une reine condescendante. Elle dit à son compagnon. "  Tiens, voilà des Kabyles " .
 
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I

L'histoire qui va suivre a été réellement vécue dans un coin de Kabylie desservi par une route, ayant une école minuscule, une mosquée blanche, visible de loin, et plusieurs maisons surmontées d'un étage. On admettra sans doute qu'un cadre si ordinaire ne soit le témoin que de banales existences car les principaux personnages dont l'histoire sera relatée n'ont rien d'exceptionnel. ( Le lecteur doit en être tout de suite averti ). Tout au plus, pourrait-on s'étonner que l'un d'entre eux soit une Parisienne. Comment supposer, en effet, qu'à Ighil - Nezman, puisse vivre cloîtrée une Française de Paris?
 
Le village est assez laid, il faut en convenir. On doit l'imaginer plaqué au haut d'un colline, telle une grosse calotte blanchâtre et frangée d'un monceau de cerdure. La route serpente avec mauvaise grâce avant d'y arriver. Elle part de la ville, cette route, et il faut deux heures pour la parcourir quand l'auto est solide. On roule d'abord sur un tronçon caillassé, bien entretenu, puis après, c'est fini : on change de commune. On s'engage, selon le temps, dans la poussière ou la boue, on monte, on zizgzague follement au-dessus des précepices. On s'arrête pour souffler, on cale les roues, on remplit le reservoir. Puis on monte, on monte encore. Ordinairement, après avoir passé les villages dangereux et les ponts étroits, on arrive enfin. On fait une entrée bruyante et triomphante au village d'Ighil-Nezman.
 
C'est ainsi que débarqua, par un après-midi de printemps, la Parisienne qui mit en émoi tout le village.
 
Cependant l'événement ne dépassa pas en portée tant d'autres qui, de temps en temps, éveillent inopportunément la curiosité des gens et secouent la torpeur du village. Pour les enfants, cefut d'abord la ruée vers le taxi insolite qu'ils entourèrent. Puis, ils escortèrent sans façon le couple, laissant repartir le grand chauffeur brun barbu, en chéchia comme eux et vêtu d'une veste de cuir. La belle dame leur souriait comme une reine condescendante. Elle dit à son compagnon : " Tiens,voilà des Kabyles ! " C'était une invitation à la suivre. Le monsieur convenait bien à la dame; luiaussi portait beau, quoique son teint ne fût pas très clair. Il n'avait ni moustache, ni coiffure mais les enfants l'identifièrent dès qu'il rencontra des hommes. Le premier qui vint à lui baisa sa tête et ses mains, l'appela Amar-ou-Kaci, lui dit que sa mère allait être heureuse de le revoir et qu'elle avait une grande chance de l'avoir attendu pour mourir. Il daigna à peine poser son regard sur la dame qui, pourtant, continuait de sourire. Elle ne comprenait pas le Kabyle, c'était visible.
 
Amar-ou-Kaci devenait de plus en plus timide, rougissait davantage à chaque rencontre et semblait vouloir s'excuser auprès de tous les vieux, ces vieux qu'il avait abandonnés. Dieu sais quand. ( Avec les jeunes, il était plus à l'aise ). Les enfants comprirent que ce monsieur impressionnant n'était que le fils perdu de la vieille Kamouma. Il baissa beaucoup dans leur estime mais ils prirent en pitié la belle dame. Leur regard devint plus doux.
 
Les hommes semblaient moins étonnés que contrariés de voie arriver chez eux une tharoumith; ceux qu'on croisait s'en allaient en dissimulant leur ironie sous leurs paupières baissées avec, au coin des lèvres, un pli imperceptible de moue désapprobatrice.
 
Les jeunes femmes qui passaient, par hasard, regardaient hardiment la dame, puis on les entendait chuchoter et rire. Deux vielle rebroussèrent chemin après avoir embrassé Amer et gratifié sa compagne d'un grand bonjour. Elles comptaient prévenir Kamouma et hâtaient le pas dans un effort de tout leur vieux corps qui faisaitfretiller sur leurs jambes sèches leurs nippes décolorées.
 
Le couple avançait avec circonsoection, car on entrait maintenant dans la grand'rue du village. Si l'on ne peut pas deviner à quoi pense exactement la dame