Pièce de théâtre de Kateb Yacine / Guerre de 2000 ans

04/06/2015 03:01
Kateb Yacine, un théâtre agitateur

 

Impliqué depuis toujours dans la vie politique immédiate et les combats d’idées qui s’y rattachent et cela des la fin de la première moitié des années 40, Kateb Yacine qui n’a pas encore 16 ans alors qui ‘il participe aux manifestations du 8mai 1945, s’impliquera sans retenus dans la révolution pour dire ses refus des ordres établis par les puissants.
 Arrêté par les forces coloniales sa mère, la croyant fusillé, perd la raison et sera internée dans les hôpitaux psychiatriques durant de très longues années. Ses premiers réquisitoires   contre toutes les formes de répressions sont l’expression profonde et mutilée de ces premiers grands drames, de ses douloureuses épreuves. Apres publication à Annaba en 1946 de son premier recueil de poèmes « soliloques » que si Mohamed Tahar Benlounissi, son père spirituel de Constantine, diffusera parce que les libraires refuseront de le faire, Kateb Yacine proche  du PPA (parti du peuple algérien) en donnant des cours du soir aux algériens qui sont toujours exclus de l’école. Sa première conférence sur l’Emir Abdelkader, il la donne le 24 mai 1947 à la salle des sociétés savantes à Paris en France. L’expérience est déterminante pour son parcours d’intellectuel engagé. Son tracé pour une émancipation majeure est retenu. Son œuvre maîtresse «  Nedjma » parue en 1956 en est un repère majeur.  Dés lors ses révoltes sont datées dans cette longue quête libératrice. « Aussi bien pour le roman poème que pour le théâtre, c’est toujours la même marque violente imprimée au langage ; le même questionnement sur les origines,  le pouvoir, sur ceux qui régissent l’histoire et ceux qui en sont les victimes. Pour beaucoup de jeunes et moins jeunes, il a régulièrement incarné une conscience irrécupérable et insoumise, un courage qui le situe aux antipodes de l’intellectuel serviteur » dira de lui le poète écrivain Tahar Djaout. Lorsque des années plus tard, Kateb Yacine aborde l’actualité comme thème principal de son théâtre contestataire, le sort réservé aux plus faibles continue de l’intéresser au plus haut point. le constat est toujours accompagné par la dénonciation  critique de toutes les formes de dépassement de toutes les injustices. Théâtre de l’insolence par excellence, l’art dramatique en arabe dialectal chez Kateb Yacine est d’abord pensé en facture esthétique nouvelle mise en branle exclusivement au service du plus grand nombre. En effet, des le début de cette expérience lancée avec la troupe «  l’action culturelle des travailleurs » à la fin des années 60 et poursuivie au sein du théâtre régional de Sidi Bel Abbés dans les années 70, Kateb Yacine a compris, que le théâtre dans sa version classique traditionnelle gonflé de métaphysique universelle ne l’aidera jamais à toucher beaucoup de gens. Rappelons que l’enfant des kablouti avait déjà a son actif plusieurs pièces écrites en langue française éditées sous le titre générique « le cercle des représailles »  et composant deux tragédies « le cadavre encerclé » et « les ancêtres redoublent  de férocité » ainsi qu’une pièce satirique « la poudre d’intelligence ». Sa conception, venue en boucle d’un riche parcours créatif, sera fondée prioritairement sur un théâtre en vadrouille, un théâtre de la remise en cause par réaction à un théâtre destiné aux espaces clos. Ce genre ne peut être réalisé à l’intérieur d’une structure fermée par celui qui dès le départ, manifestait son désir de faire jouer ses comédien partout ou il était possible de placer quelques cintres pour y accoucher les  costumes.  Le but recherché dans cette option éclatée du jeu d’acteurs est de susciter le débat sur les libertés dans ces pièces au mode parodique conçues pour être transposables dans n’importe quel lieu .dans toutes ses œuvres écrites en arabe local, l’arabe algérien ,l’auteur de « Nedjma » se refuse à tout élitisme dans l »art de monter et surtout monter ses pièces. Je suis contre l’idée d’arriver en Algérie par l’arabe classique parce que ce n’est pas la langue du peuple , je veux avoir ACC ès au grand public et le grand public comprend les analphabètes. Ses acteurs complices jouent un théâtre où on nomme les choses par leurs noms afin que le spectateur puisse immédiatement trouver les idées forces véhiculées par l’œuvre proposée. Régulièrement, les interprètes sortent de leur pole  s’adresser directement au public glissent sur le fait actuel. Ils sont à la fois personnages et médiateurs dans ce théâtre éclectique qui s’adosse régulièrement à des phases historiques précises accouplées al ‘instant social. Agissant ainsi, ce théâtre tente d’éviter que les émotions produites au cours de la représentation n’allièrent le spectateur en lui ôtant tout esprit critique capable de lui faire discerner le vrai de l’illusion. La purgation est une purgation vigilante, l’identification dont on parle souvent revêt d’autres significations, d’autres pistes, d’autres couleurs. Même s’il  s’exprime fréquemment par amples paraboles les théâtres choisis par le paternel. « La poudre d’intelligence » ne s’est jamais contenté de rester dans l’éloquence des images projetée. La manière de jouer l’événement et les éléments scénographiques accompagnant cet événement artistique se doit de dire au spectateur qu’il est en train de suivre une pièce de théâtre. Tout décor et autres accessoires qui n’intègrent pas cette vision sont évacués du projet de mise en scène. Les intermèdes et chants introduits dans la pièce théâtrale  sont pensés comme haltes nécessaires à l’implication du spectateur dans l’interpellation des contenus de ce théâtre nourri à la mamelle de la caricature et du style burlesque. Provocateur conscient, Kateb s’est toujours revendiqué d’un théâtre agitateur de conscience, l’agitation exprimée en contrepouvoir à toutes les odeurs officielles. Ses pièces, d’où le divertissement n’est jamais absent, ne sont jamais finies ni dans «  Mohamed prends ta valise » , écrite et montre  au départ avec l’aide kaddour Naimi l’animateur premier de la troupe du théâtre de la mer et Hrikes, ni dans les pièces qui ont suivi, à l’exemple de «  Saout Nissa ( voix de femmes) « la guerre de 2000 ans » , «  Palestine trahie » , « le Roi de l’Ouest » « Mandela » . Comme on le constate, l’événement historique proche dans la géographie et le temps histoire constitue le noyau de ces œuvres à «  la forme aiguisée »comme il les définit lui-même. Montées en fonction des réalités sociopolitiques du moment et structurées en plusieurs instants de jeu menés par des comédiens qui partageaient totalement les idées avec le géniteur de «  L’homme aux sandales de caoutchouc » (œuvre écrite en langue française et dédiée à la lutte héroïque du peuple vietnamien à travers son héros phare Ho Chi Minh) ses théâtrales demeurent en constante évolution, en constante transformation. « le théâtre que je fais, je ne le fais pas seul, je le fais avec une troupe, il évolue…… » C’est la marque de fabrique d’un genre théâtral articulé aussi bien dans la manière d’exprimer la dimension esthétique dans celle liée à souvent, les tréteaux placés en milieu ouvert se transforment en podium pour exhiber les convictions politiques des éléments de la troupe dans une langue simple, le verbe devient alors audacieux. Explicitement revendicateur de liberté. Périclès disait que « le secret de la liberté est le courage » et Kateb était courageux. Conjuguant volontiers le théâtre didactique au théâtre de la dérision mâtiné à l’humus local cueilli pour l’essentiel dans les milieux humbles Kateb Yacine a été ce lui qui a le mieux exprimé ce retour en force aux publics populaires à la proximité celle du peuple qu’il connait celle du public qu’il a su écouter avant d’écrire ses scènes contestataires, ses scènes  qui ne pouvaient s’aligner que sur une subversion déclinée en poèmes accusatoires  les poèmes insipide de la situation du moment. L’important  selon lui, c’est d’être conforme aux exigences de son temps le temps réel ce qui inclut obligatoirement l’honnêteté dans l’art de dire les choses dans leur contexte sociologique précis. Nous sommes  dans un théâtre manifeste, un tarare à veine comédie farcesque ou , mieux encore tragicomique qui va vers son public là ou il se trouve, donnant ainsi accès directement  à la parole aux gens du quotidien . Des gens acteurs et non de simples consommateurs,  ces allers et retours entre scène et public relèvent à la fois du souffle créatif et du débat public et du constat direct. Chez Kateb Yacine,  ses pièces il les conçoit comme des pavés dans la mare de la médiocrité, du confort intellectuel et de l’intégrisme islamiste, il  n’était au service d’aucune parti, d’aucune idéologie constituée, d’aucune pouvoir  si ce n’est celui atrophié,  occulté des opprimés,  des déshérités des démunis dont il entendait être le porte –voix » Dans cette relation participative où on évite l’intrigue  spectaculaire et son pendant Natural, les virtuosités techniques pas toueurs lisibles au premier abord, ses écrits de rupture produisent régulièrement un effet d’adhésion immédiate. Ainsi joies et douleurs sont exprimées crument de manière directe et non enrobées de faux semblants ou de fausses et hypocrites indocilités. Dans ce théâtre à bien des égards pamphlétaires, les républiques ampoulées ne sont pas toujours les bienvenues parce qu’elles peuvent prêter à confusion. C’est là justement la raison pour la laquelle les comédiens se refusent de faire dans l’indécision ou du mot servi en contre-jour.  De la sorte, ils établissent le constat avec les publics partout où il est possible de les toucher et apprennent d’eux.  Mes pièces, toujours actuelles ne constituent jamais un travail achevé , ce n’est pas du roman, il faut toujours les réactualiser « En ce sens, l’ajout est considère comme souci de partage élément d’enrichissement mutuel dans cette relation affective spécifique. Chaque action conflictuelle, dans ses formes à la temporalité subversive parce que non linéaire, est suivie d’une sorte de pause (ou répit) ou le comédien commente l’histoire narrée  sur scène, en reconstitue quelques situations tirées d’un réel quotidien et reconnaissable. Une histoire à la cadence heurtée qui se déroule en flache- back pour ne jamais se refermer dans son double discours artistique et politique, ainsi, assez souvent, passé et présent  s’intercalent de manière quasi répétitive pour solder des compètes restés suspens. Dans cette technique du fractionnement ou la pièce invente sa propre tonalité architecturale, la transmission du récit est à la fois morcelée et cumulative, autonome et interdépendante, désintégrée  et unie dans le surgissement d’images artistiques remuantes. La fameuse règle des unités est réfléchie avec une optique différente. C’est le style épisode s’apparentant a l’art du cinéma qui semble prendre le dessus avec, bien entendu une idée maîtresse qui charpente le tout en rythmant l’essence. Une idée pas nécessairement en phase avec les notions d’espace et de temps dans leurs définitions arrêtées. Les perspectives des embrouilles et débrouilles, déroulés en cataractes de mots aussi humoristiques les uns que les autres, offrent au spectateur un intérêt auditif et visuel indéniables, elles sont par ailleurs aisées à déceler culturellement. Les airs musicaux puisés dans le terroir sont ceux aussi intégrés dans ces choix d’un théâtre engagée à l’esprit place publique, géré comme un acte collectif dans sa relation égalitaire et fraternelle. Tout est métaphore illuminée, révolte jamais tue, chant à l’écoute des ancêtres et des hommes libres commente  l’universitaire et homme de lettres tunisien Tahar Bekri il ya du théâtre épique à la Brecht et du « Hlayki » dans ses références aux gens d’en bas, peints avec leur lucidité caustique, les fragments patrimoniaux qui les unissent, les préoccupations qui les définissent et  les intimes référents identitaires qui régissent leur comportement. Le théâtre de la troupe   Kateb Yacine n’a jamais caché ses préférences pour la satire mordante, une satire totalement imbibée de révolte citoyenne, totalement versée dans la démystification des adeptes de la continuité résignée et des rhétoriques figées. Très souvent, le sarcasme tranchant est mis au- devant de la scène en contrecoup aux traditions théâtrales prônant les règles strictes du théâtre conventionnel et les limites qui lui sont propres. La nation d’envoutement change de définition dans le théâtre katébien. Cette forme d’hygiène culturelle et politique est soutenue par une aspiration théâtrale récalcitrante à la grandiloquence verbale et à l’esthétisme tape à l’œil. Cependant, la non adhésion à la catharsis originelle au sens aristotélicien du terme et au quatrième mur (déjà dissous, il est vrai par Bertolt Brecht) ne signifie pas pour autant le rejet des émotions les signes de reconnaissance de bout en bout les logique internes de ce contrat-spectacle à l’intérieur duquel l’émotion, en tant que plaisir partagé est formulée partout. Les vertus purificatrices du spectacle préposé s’alignent sur d’autres définitions, sur d’autres valeurs d’autres lignes portantes d’autres hardiesses. Une pièce de théâtre de Kateb Yacine comme ses romans poèmes est toujours dans son interférence réplétive, ses ruptures burlesques et ses jaillissements déconcertants. Sans plier l’échine, tu as fait parler les racines » écrira Nacer Kettene dans son poème d’amour dédié à Kateb Yacine.

Bouzine Ben Achour

_____________________________

Pièce de théâtre de Kateb Yacine
Guerre de 2000 ans